Il y a quelques années, Pierrette Verlaans, professeure à l'Université de Sherbrooke, s'est rendue dans la classe d'une école primaire tout à fait ordinaire. Elle allait y présenter aux élèves une vidéo sur l'intimidation. La professeure était formelle: il n'y avait pas de ça dans sa classe.

Or, en examinant les questionnaires remplis par les élèves à la suite de la présentation, les intervenants de l'école ont noté le cas d'une enfant. Les éléments présentés dans la vidéo, «c'est mon quotidien», écrivait la petite. En la questionnant, le professeur et la direction ont réalisé que cette élève était ostracisée depuis des années.Un exemple? Dès qu'ils touchaient un objet lui appartenant, les autres élèves, tous les élèves de la classe, allaient immédiatement se laver les mains. Les parents ont été stupéfiés d'apprendre les agissements de leurs enfants.

Fenêtre ouverte sur la violence

Mme Verlaans n'est plus une ado depuis longtemps. Mais, de son bureau à Longueuil, elle a une fenêtre ouverte sur la violence à l'école. Elle suit, depuis sept ans, près de 200 filles. Le groupe est divisé en trois. Un groupe contrôle, les filles sans problème. Un groupe de filles qui ont adopté des comportements d'intimidation. Et un autre groupe, formé de filles elles-mêmes intimidées.

Les cinq entrevues réalisées au fil des ans avec ces filles, qui se sont tenues alors qu'elles avaient entre 10 et 17 ans, donnent une idée de l'importance du phénomène de «l'intimidation indirecte». Personne ne se cogne, personne ne se frappe, mais des réputations sont détruites, des filles, isolées, poussées au désespoir.

«Les adultes sont beaucoup moins habiles à détecter cette forme de violence», souligne Mme Verlaans.

Pourquoi ces jeunes filles en harcèlent-elles d'autres? Pour conserver leur statut de dominance dans le groupe, par vengeance, pour continuer à faire partie du groupe des populaires, dit Pierrette Verlaans. «L'intimidation indirecte, ce n'est pas le petit dur. C'est le bon élève leader, que tous les profs aiment. Mais parfois, ce leader n'est pas en mesure de voir jusqu'où le leadership peut mener», renchérit Denis Leclerc, psychoéducateur et conseiller en prévention de la violence à la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys.

Ces jeunes qui intimident ont souvent une image très positive d'eux-mêmes. «Ils ont la conviction d'être supérieurs», dit Denis Leclerc.

D'ailleurs, les parents de ces jeunes sont souvent renversés quand on leur apprend les comportements de leur enfant. «L'enfant a parfois un comportement à la maison et un autre, différent, à l'école. Pour entrer dans sa gang, il change. C'est un caméléon», explique un policier du Service de police de Montréal qui se retrouve souvent devant ce genre de cas.

Le pic de l'intimidation: entre 10 et 14 ans

L'intimidation se déroule, le plus souvent, alors que les enfants ont entre 10 et 14 ans. À cet âge, les jeunes deviennent conscients de l'importance d'appartenir à un groupe. Ils se regroupent donc, par style, par goûts. «Moi, je suis dans le groupe, et elle, elle n'est pas dans ma gang», résume Denis Leclerc.

Le problème se complique souvent parce que la ou les victimes persistent à côtoyer leurs harceleurs. «Tout le monde veut faire partie de la gang des populaires. La victime espère toujours qu'on va l'inclure», résume M. Leclerc.

Mais le jeune leader n'est pas seul. Les témoins, les autres enfants qui rient ou détournent le regard, font aussi partie de la mécanique de l'intimidation.

«Du point de vue de la victime, le problème n'est pas seulement relié aux deux ou trois qui l'ont écoeuré, mais aux autres qui n'ont rien fait. Le jeune a le sentiment qu'il est seul, que tout le monde est contre lui.»

Mais souvent, à partir de 16 ou 17 ans, les comportements des bullies n'impressionnent plus la galerie. Et alors, les anciens bourreaux deviennent parfois les victimes, souligne Céline Muloin, directrice générale de Tel-Jeune.

Environ 3 % des appels reçus sur la ligne d'aide concernent l'intimidation. «Lorsque les jeunes qui étaient plutôt dans le camp de ceux qui intimident nous appellent, c'est que le vent est en train de tourner. Quand les autres décident que ton comportement n'est plus hot, tu peux te retrouver isolé. Ces jeunes-là ont perdu le pouvoir et souvent, le sentiment de vengeance des anciennes victimes est assez fort.»