Tout a commencé de façon sournoise: une poussée dans le couloir, une remarque blessante: «Tu parles mal!» «T'es pas mon ami!»

Laurent* avait 5 ans, il fréquentait la maternelle. Il ne comprenait pas.

En première année, les remarques blessantes se sont multipliées: dans la cour, dans l'autobus et dans la rue, quand les enfants du quartier s'amusaient après l'école.

 

Il avait 6 ans quand il a reçu son premier coup de poing.

C'était toujours le même petit garçon, Robert, qui menait la charge. Il s'entourait d'amis et, ensemble, ils harcelaient Laurent.

Robert et Laurent étaient voisins. Quand Robert invitait des amis dans sa cour, Laurent n'avait pas le droit d'y aller. Il restait en face de la maison, seul, assis sur son vélo, attendant que les garçons reviennent jouer dans la rue pour se mêler à eux.

Le soir, lorsqu'il revenait de l'école, il refusait de parler, mais ses parents sentaient que quelque chose clochait. Parfois, il explosait. Il piquait des colères ou éclatait en sanglots.

«Je rêvais à des cauchemars», raconte Laurent.

Laurent n'est pas un petit garçon comme les autres. Il souffre de dyspraxie, un trouble qui touche la coordination et affecte son langage.

Quand il parle, les mots se bousculent dans sa bouche et il faut tendre l'oreille pour le comprendre. Il est bien bâti, légèrement potelé. Joues rouges, cheveux noirs coupés court, yeux foncés où pétille l'intelligence.

Même si Laurent n'avait que 6 ans, sa vie a commencé à se détraquer. «Il souffrait d'anxiété sévère, rappelle sa mère. Il avait peur d'être seul. Si je le perdais de vue à l'épicerie, il paniquait. Il refusait d'être seul dans sa chambre.»

Les parents de Laurent racontent leur lente descente aux enfers. Ils vivaient dans une grande maison plantée au sommet d'une colline. Le soleil inondait la pièce, mais ils ne voyait pas les rayons qui éclaboussaient le plancher. Ils étaient trop absorbés par le drame de leur fils qui a bouleversé leur vie pendant quatre ans.

À 7 ans, Laurent a reçu son deuxième coup de poing. C'était en mars 2007, dans la cour de l'école. Robert et cinq de ses amis ont agressé Laurent. Ils l'ont poussé par terre et roué de coups de poing et de coups de pied.

Alertés, les parents ont porté plainte et appelé la police. L'école est intervenue mollement. L'incident a vite été oublié et le calvaire de Laurent a continué.

«J'étais tout le temps sur le mode alerte, dit Laurent. J'avais l'impression d'être seul au monde. C'était très, très difficile.»

Laurent vivait dans la peur et ses parents, impuissants, souffraient d'insomnie et d'anxiété aiguë. Eux aussi se sentaient seuls au monde.

Robert isolait Laurent en menaçant de tabasser ceux qui osaient être ses amis. «Je ne voulais plus aller à l'école. C'était très, très dur côté mental, confie Laurent. Ça me faisait beaucoup de peine.»

Robert et ses amis le dévisageaient et le surveillaient constamment. Une guerre psychologique qui minait Laurent.

Ses parents se sont plaints et la directrice a fini par admettre que Laurent était victime d'intimidation. Elle a sorti le «Guide à l'intention du vaillant intervenant», un protocole que l'école a adopté en 2003 pour régler les cas d'intimidation.

C'était la première fois que les parents de Laurent entendaient parler de ce guide qui propose un plan d'intervention en cinq points qui va des excuses à des rencontres. Dernière étape: appeler la police.

La directrice voulait commencer à l'étape un. Les parents ont protesté: «Laurent est harcelé depuis trois ans! Passons à l'étape cinq», ont-ils supplié. La directrice a refusé.

* * *

Laurent a reçu son troisième coup de poing en mars 2008. Même scénario qu'en 2007: Robert et ses amis l'ont jeté par terre. Coups de poing, coups de pied.

Même intervention molle de la direction, qui n'avait que son guide du «vaillant intervenant» pour rassurer des parents en détresse et un petit garçon qui n'en pouvait plus d'être harcelé.

Le lendemain de l'agression, les parents de Laurent ont mis leur maison en vente. Laurent a pleuré, il ne voulait pas partir. «On lui a dit: il faut partir. Ce n'est pas ça la vie», raconte le père.

Il a fini par se laisser convaincre. Le 28 juillet 2008, la famille a plié bagage.

* * *

Laurent est heureux dans sa nouvelle école. Il s'est fait des amis et il obtient de bonnes notes. La vie a repris son cours, mais les années de cauchemar ont laissé des traces.

Laurent est en colère, il n'arrive pas à oublier. «J'ai beaucoup de rage contre mes harceleurs, dit-il avec aplomb. J'ai envie de les tuer, de me venger. Je me sens comme Darth Vader. Je voudrais qu'ils vivent ce que j'ai vécu. Je pense que ça me ferait rire.»

Les parents aussi ont de la difficulté à tourner la page.

«Qu'est-ce que le harceleur a appris, demande le père? Qu'il peut intimider pendant quatre ans et qu'il ne sera jamais puni?»

C'est ça qui leur fait le plus mal. L'impunité dont jouissent les harceleurs.

* Tous les noms ont été changés pour préserver l'anonymat de Laurent.