Pendant quatre jours, parlementaires et experts ont débattu à Québec de l'emplacement du futur CHUM. Les travaux ont mis en lumière de nombreuses contradictions dans les rapports, principalement sur la sécurité, sur les coûts et sur la proximité des patients. La Presse en a discuté avec le défenseur du projet de l'Université de Montréal, le recteur Robert Lacroix, et avec l'ancien premier ministre Daniel Johnson, favorable au site de l'hôpital Saint-Luc.

Daniel Johnson L'emplacement de l'hôpital Saint-Luc pour implanter le CHUM semble désormais le choix de la majorité des Québécois. Mais plusieurs font ce choix sans enthousiasme, en estimant que c'est simplement le moins mauvais. Ce n'est pas votre cas?

Pas du tout. J'ai beaucoup, beaucoup de conviction pour le CHUM au centre-ville. Je ne passe pas pour quelqu'un de bien émotif... Eh bien, cet endroit m'émeut. Il s'inscrit dans la nature et la personnalité de Montréal. Je suis Montréalais, j'aime ma ville. J'ai été mêlé, comme ministre responsable de la région de Montréal, aux défis qu'il faut relever dans cette ville.

Voilà, enfin, un grand projet mobilisateur qui ne pose pas de problèmes majeurs. Il est adapté aux besoins de santé, d'enseignement et de recherche. Et, en plus, il va revitaliser le centre-ville.

Pourquoi le centre-ville serait-il plus rassembleur qu'Outremont?

Au delà des questions techniques, il faut se rappeler que le centre-ville a une vocation institutionnelle, professionnelle, technologique. Il faut confirmer cette vocation.

N'y a-t-il pas un manque d'espace autour de l'hôpital Saint-Luc?

Non. Le CHUM est convaincu qu'il peut dresser, à côté de l'hôpital existant, un pavillon flambant neuf de 430 lits, comprenant tous les plateaux techniques et les laboratoires de recherche. Quand il sera construit, les patients de l'hôpital Saint-Luc vont y déménager. Répétons-le: les travaux de rénovation (pour y aménager 270 lits) vont se faire à Saint-Luc sans la présence des patients.

Est-ce bien sage de faire du neuf avec du vieux?

Moi aussi, je vais faire refaire ma cuisine un jour! C'est peut-être cher de rénover des locaux délabrés, qui n'ont pas été entretenus pendant longtemps. Mais ce n'est pas la situation à Saint-Luc.

La construction d'un grand pavillon à côté de l'hôpital Saint-Luc ne va-t-elle pas perturber les soins et déranger les patients?

Les mesures de mitigation sont bien connues pour les grands chantiers en milieu urbain. Prenez l'exemple du North Western Hospital à Chicago. Il a été construit il y a une dizaine d'années juste à côté de pavillons existants, tout en maintenant la qualité des soins. C'est possible aussi au centre-ville de Montréal.

Le projet de CHUM au centre-ville prévoit un pavillon de 15 ou 16 étages. Cela signifie qu'il faudra circuler en ascenseur plutôt qu'à l'horizontale. Est-ce que ça ne va pas à l'encontre des tendances modernes?

Le North Western compte une vingtaine d'étages. Le CHUM à Outremont en compterait une douzaine. Quant au temps de déplacement, la question se pose. Qu'est-ce qui va le plus vite? Monter trois étages dans un ascenseur ou marcher un quart de mille pour aller dans un autre pavillon?

Après le CHUM, peut-on vraiment envisager de bâtir une technopole de la santé dans le centre-ville?

Tout à fait. Il y a beaucoup de place au sud et à l'est de l'hôpital Saint-Luc. Le gros avantage, c'est qu'on n'est presque pas obligé d'exproprier des tiers. La plupart des bâtiments et des terrains appartiennent au gouvernement ou à la Ville de Montréal. Cinquante millions de dollars suffiraient à recouvrir une partie de l'autoroute Ville-Marie.

Vous adhérez à ce projet de technopole?

Oui. C'est un projet extrêmement intéressant, de grande envergure, que le recteur Robert Lacroix a mis de l'avant. On lui doit cela, d'avoir ouvert des perspectives différentes, beaucoup plus larges. Mais je pense qu'il doit être au bon endroit. À Saint-Luc, contrairement à Outremont, on peut faire ce projet par phases. Le CHUM dans une première étape, la technopole ensuite. Faire ça au centre-ville, c'est affirmer la francité de Montréal. Ce sera un symbole, un phare montrant tout ce qu'on peut faire, en français, au point de vue scientifique et médical.

La visibilité est importante?

Entre autres choses, oui. Le centre-ville offre une bien meilleure visibilité qu'Outremont. Le Palais des congrès est à côté de l'hôpital Saint-Luc. La moitié des congressistes, qui viennent de partout dans le monde, sont liés aux sciences de la vie. Et puis il y a l'accès...

C'est-à-dire?

Tout est là, au centre-ville. Les stations de métro, le transport en commun, le pont Jacques-Cartier pour la Rive-Sud, l'autoroute 720 (Ville-Marie), la 15 un peu plus loin. Ça ne s'invente pas... On est vraiment au coeur de l'action, pas en périphérie.

Robert Lacroix

Au terme de cette commission, avez- vous l'impression que la décision est prise?

J'espère que non. J'espère que non parce que, au bout du compte, il faut que les faits soient examinés à leur valeur propre et on ne peut quand même pas au Québec faire un déni d'expertise de A à Z. C'est-à-dire que si on dit maintenant qu'aucune expertise ne doit entrer dans nos décisions, c'est très grave. Des expertises sur les coûts, des expertises sur la sécurité, des expertises sur la desserte, si on met tout ça de côté en disant: par principe de précaution, au cas où il y aurait un petit risque, je ne prends pas de décision, c'est très grave.

Qu'est-ce que vous retenez de cette semaine de commission parlementaire?

Sur l'ensemble des grands dossiers, des grandes préoccupations, je suis un peu surpris qu'on mette aussi rapidement de côté toutes les plus grandes expertises qu'on a au Québec dans le domaine. Toute la question du rapport Couture-Saint-Pierre...

Ce sont quand même deux personnes éminemment responsables et expertes qui sont arrivées à des conclusions claires et précises quant au site de L'Acadie-Beaumont (Outremont). On a un peu mis ça de côté, comme si c'était deux banals individus.

Vous dites que, quelle que soit l'expertise amenée, ça ne semblait pas être l'expertise dominante. Que voulez-vous dire?

Ce qui est un peu bizarre dans tout cela, c'est qu'on part avec un site qui est le site Saint-Luc, qui n'avait jamais été considéré comme un site intéressant, et puis maintenant ont est rendu à dire que c'est le bout de tout, que c'est le site des sites. Je ne sais pas quelle baguette magique a tout changé, mais ça ne peut pas changer si vite que ça. Le problème, c'est qu'à force de gratter les poux du site Outremont, on a oublié les problèmes du site Saint-Luc. Le rapport Couture-Saint-Pierre les soulevait très clairement et personne n'est revenu sur ça.

Les questions de la sécurité, des coûts et de la desserte de soins semblent avoir beaucoup penché dans la balance?

Sur la desserte, je veux bien qu'on utilise le principe de précaution, mais si le principe de précaution fait qu'on ne doit rien changer à rien pour ne prendre aucun petit risque, bien dites-vous une chose, on n'aurait pas eu la Révolution tranquille au Québec. On n'aurait pas changé le système d'éducation, on n'aurait pas changé le système de santé, on serait encore en pré-Révolution tranquille au Québec parce qu'avec le système de précaution, on n'aurait rien fait. Tout changement crée une certaine incertitude, un certain risque, et la question qu'on se pose est s'il est vraiment gros, ce risque. Les experts sur la desserte sont venus nous dire: «Arrêtez ça tout de suite, il n'y en a pas, de risques.»

Comment deux rapports d'experts- Johnson-Villeneuve et Couture-Saint-Pierre- peuvent-ils arriver à des conclusions aussi différentes?

Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise? (...) Sur la question de la sécurité, nous avons des experts qui regardent ça à l'envers, à l'endroit, et qui nous disent: «Écoutez, on croit que les deux sites sont tout à fait comparables du point de vue de la sécurité.» C'est ce qu'ils disent au bout du compte. Vous pouvez très bien dire oui, mais il passe un train là. Mais du point de vue de la sécurité, c'est pareil. Est-ce qu'il pourrait arriver quelque chose? Oui, si une bombe tombe pendant qu'un train passe, ça peut faire une petite différence. Oui, mais s'il y a une bombe qui tombe pendant qu'un camion de propane passe sur le boulevard René-Lévesque et Saint-Denis, ça va faire la même chose. C'est toujours deux poids, deux mesures.

En d'autres mots, le petit risque, qui n'est pas plus gros là qu'il le serait sur le site Saint-Denis, bien on en fait un gros problème. Ce que je remarque, pour être très franc, c'est que je crois qu'il n'y a pas eu équité de traitement dans l'examen des deux sites. Je croyais a priori qu'on aurait une grande neutralité dans cela.

Quelle est la prochaine étape de votre côté?

Soyons très clair, je pense qu'on a mis sur la table tous les rapports d'expertise qu'on a pu faire faire. Si on ne veut pas les voir, qu'est-ce que vous voulez que je fasse de plus?

Mettez vous à ma place! On a une étude et c'est comme si elle n'avait jamais existé. On n'est jamais revenu dessus. C'est un peu insultant, d'abord pour MM. Couture et Saint-Pierre.

Deuxièmement, c'est la même chose pour la sécurité et pour la desserte. C'est un déni d'expertise. Les experts disent des choses, mais on conteste leur expertise. Mais si on ne peut plus se fier aux experts, à qui allons-nous nous fier pour prendre une décision? Aux sondages? Aux mouvements politiques? En d'autres mots, quand vous êtes sur un marché aussi politisé, je crois que la raison, l'expertise, prend de moins en moins de place et le reste devient dominant.