Depuis qu'elle publie les nouvelles érotiques de la collection d'«Histoires à faire rougir», l'auteure Marie Gray reçoit quantité de courriels de lectrices qui discutent avec elle de sexualité. Elle nous livre ici une réflexion sur le désir au féminin.

Le désir au féminin... Doit-on réellement faire une distinction entre désir de femmes et désir tout court? Oui, sans doute. Tous les témoignages que j'ai eu la chance de recevoir me convainquent que, conjugué au féminin, ce petit mot si simple multiplie ses sens et prend, comme bien des choses dites «féminines», des proportions insensées. Mais ce que je constate, surtout, c'est qu'il se complique.

  Est-il prétentieux d'affirmer que pour nous, les femmes, le désir est bien plus qu'un simple afflux sanguin dans une seule et unique partie du corps? Qu'il devient une entité, un virus envahissant chaque cellule de notre être? Non, nullement prétentieux, simplement... féminin.

  Mille visages de femmes m'ont raconté mille visages du désir. Pour certaines, il naît de petits gestes subtils, presque anodins. Des doigts posés au creux des reins, une poignée de main qui s'éternise, un compliment qui fait rougir. Un regard ravageur, un sourire équivoque, des yeux qui pétillent, une promesse muette. Pour d'autres, il surgit brutalement, tel un coup de poignard au fond du coeur, au bas du ventre, laissant pantelante, prête à tout foutre en l'air.

  Le désir sait parfois se faire attendre, ou alors surprendre... On l'espère et on le cultive, on le vénère et on l'attise. Vagabond, il peut partir pour un temps, voir ailleurs s'il s'y trouve puis faire un retour inattendu, question de souffler un peu sur des braises vacillantes. Il peut tour à tour nous tourmenter, nous anéantir, nous sauver et nous ressusciter; coupable ou licite, secret ou exhibé, il ne tolère aucune résistance. Désir aux mille visages, changeant comme le vent, il nous confond et nous provoque, nous atteint de plein fouet ou, pire, nous ignore...

  Désir béni qui nous fait revivre, éveille un coeur engourdi, réchauffe un corps transi. Bien qu'on sache qu'il ne fait que passer, on voudrait qu'il s'incruste. Car il sait si bien faire renaître une féminité oubliée ou une sensualité élimée et transformer l'amante blasée en une déesse assoiffée!

  Désir inavouable, parfois irrationnel ou immoral, insolent ou puéril, qui nous force dans nos derniers retranchements, nous couvre de remords et nous plonge en plein tourment. Insensible à nos principes pourtant puissants, il nous entraîne dans de noires profondeurs, faisant miroiter chairs interdites et étreintes illicites.  

  Désir-surprise qui d'un seul coup de baguette magique transforme un quotidien morose en une épopée grandiose, efface des milliers de rancunes, de multiples amertumes, des années de mésententes stériles et de blâmes futiles.

  Désir exigeant qu'on ne peut pas toujours assouvir, qu'on doit parfois tant bien que mal tenir en laisse, brimer, mater. Qu'adviendrait-il de nous si nous baissions les bras et abdiquions devant toutes ces tentations? Deviendrions-nous semblables à certains de ces hommes mal-aimés qu'il nous est si facile de condamner?  

Désir excitant qui irrigue chaque fibre de ce corps qui nous obsède, cet allié qui tout à coup nous trahit. Ce corps qu'on aime autant qu'on le déteste, le voilà qui se gonfle d'une vie nouvelle. L'adrénaline en course folle, le coeur qui caracole. Un simple regard, l'attente d'une caresse, d'une éternité d'affolants touchers. Intolérable délice.

  Désir décevant qui avec le temps s'estompe, se fait discret, puis disparaît. Volage, il vient et repart. On voudrait le mettre en cage, le conserver pour les inévitables nuits d'ennui, le faire durer, autant dans notre coeur que dans notre lit...

  Désir vibrant, véritable fontaine de Jouvence, il transforme le regard, le nôtre et celui de l'autre, efface rides et mèches grisonnantes, soucis et intransigeances.

  Désir fatal qui peut saccager des unions qu'on jurait solides, pulvériser des rêves qu'on croyait éternels. Tsunami du coeur, il peut tout ravager sur son passage, nous faire perdre la tête, commettre l'irréparable. Plus d'une s'est ainsi vue damnée, consumée tout entière, jusqu'à brûler en enfer...

  Désir sublime qui nous rend indulgentes et lucides, qui nous permet enfin de nous voir telles que nous sommes: désirantes, désirées, désirables. Femmes.

  Désir. Un petit mot de cinq lettres tout simple. Aussi simple que ça. Vraiment?

  À la recherche du désir perdu