Dès qu'on approche du vieil autobus scolaire, les chiens surgissent de nulle part et vous encerclent. Quelques-uns jappent, grognent.

Puis, un homme maigre à la barbe hirsute sort la tête d'un autobus scolaire garé sur un terrain broussailleux du quartier industriel de Laval. Il pousse un cri d'une voix éraillée. C'est le silence dans la meute.

Cet homme, c'est Philippe Loiselle. Il vit dans cet autobus depuis un an. Il l'a acheté 2500$ et y est installé avec ses 28 chiens, tous des chow-chow.

Les chiens dorment sur des couvertures installées sous le bus, sauf les nouveau-nés qui bénéficient du «confort» de l'autobus durant deux mois.

À 55 ans, Philippe Loiselle est un squatteur.

Après avoir dormi sous une tente à Saint-Eustache, à Saint-Nicéphore et dans un bois près d'un terrain de soccer dans un autre secteur de Laval, il habite depuis un an un terrain qui appartient à Hydro-Québec.

Plusieurs pylônes électriques s'élèvent dans sa cour et un étang clapote près de l'autobus.

Au loin, on voit les toits des bungalows d'un quartier résidentiel voisin. «La semaine passée, un huissier de la Ville m'a demandé de partir, sous prétexte que je suis sur un terrain sans autorisation. J'ai essayé de parler au maire. Ce terrain appartient à Hydro, pas à la Ville», explique le quinquagénaire. Philippe Loiselle est habitué d'être traité en indésirable.

Pour survivre, il fait l'élevage des chiens et en vend à l'occasion grâce à des petites annonces diffusées sur l'internet. Il dit ramasser ainsi quelques milliers de dollars par année. Il a mis fin à ses prestations d'aide sociale. Par principe. Histoire de ne pas être redevable à quiconque. «Je fais de mon mieux avec ce que j'ai. Je veux montrer qu'il y a d'autres façons de vivre l'itinérance, sans être à la merci des organismes et du gouvernement.»

Pour manger, il collecte les restes des 30 cantines qui sillonnent chaque jour le quartier industriel de Laval. Une vieille Mustang bleue déglinguée et abandonnée devant son autobus sert d'entrepôt pour les dizaines de sacs de nourriture pour chiens qui s'empilent, offert par des Samaritains. Ces mêmes Samaritains qui lui ont offert au fil du temps des dizaines de sacs de vêtements.

Étrange demeure

Même s'il vit en marge de la société, celui qui se surnomme M. Chow-Chow a un cellulaire, un compte Facebook et même un site internet. Le voir parler au téléphone devant son vieux bus et ses chow-chow attelés comme des chiens de traîneau relève presque de l'anachronisme.

Pour tuer le temps dans son bruyant ermitage, il feuillette les journaux tous les jours, mais n'a pas de télévision, de radio ou d'électricité et utilise la même lampe de poche depuis plus d'un an.

«Le ménage n'est pas fait», badine-t-il avant de nous faire grimper à bord de son autobus.

Dans son étrange demeure, il y a des boîtes de vêtements empilées contre les fenêtres des deux côtés. Un matelas est posé sur le côté. La nuit venue, il le dépose sur une feuille de contreplaqué. Il faut enjamber les huit chiots d'à peine quelques jours qui roupillent pour atteindre la «cuisine» au fond de l'autobus.

Il y a un petit poêle de camping, un peu de vaisselle et quelques boîtes de nourriture sèche.  

Le spectacle de M. Loiselle qui déambule avec ses chiens dans les rues de Laval a quelque chose de surréaliste. Difficile de ne pas sourciller à la vue de cet homme barbu au centre de ses chiens attachés par des harnais, en bordure du boulevard des Laurentides ou du boulevard de la Concorde. La plupart du temps, il se promène dans les sentiers du bois de l'Équerre, tout près.

Même si son discours est articulé et si l'homme est cultivé, sa «croisade» reste un peu floue. Tantôt l'élevage des animaux, tantôt la biodiversité ou sinon la liberté. «J'ai appris à vivre et penser différemment. On naît libre sur la terre. De quel droit peut-on écrire "privé" sur une clôture?»

Philippe Loiselle prévoit quitter Laval pour s'installer à la campagne, où il espère ne plus avoir l'air d'un Martien. Cet aîné d'une famille de six enfants dit en avoir appris un rayon sur la survie. Doté d'une santé de fer, il dit n'être jamais malade, même l'hiver. Il cicatrise même ses blessures à l'aide d'une cigarette.

Le 24 décembre dernier, ses frères et soeurs ont installé une chaufferette dans son autobus.

Il ne reçoit pas vraiment de visiteurs, mais des policiers ou des organismes font parfois des rondes par les grands froids.

Histoire de voir si M. Chow-Chow est toujours en vie.

«Mode répression»

Quelques semaines après notre rencontre, nous avons appris que Philippe Loiselle avait quitté son terrain broussailleux, après s'être fait forcer la main par les autorités. La Ville estime avoir fait preuve de patience avec le marginal, qui contrevenait à plusieurs règlements municipaux. «Il est revenu récemment s'installer dans le stationnement d'un centre commercial à Sainte-Dorothée avec son autobus et ses chiens. Malgré la sympathie de la population, plusieurs commerçants se sont plaints. Ça devenait problématique et on était plus en mode répression», explique Martin Métivier, chef du service Urgence sociale Laval.

Devant la pression exercée par la Ville, M. Chow-Chow a quitté Laval.