L'heure de pointe tire à sa fin. Près des voitures qui avancent parechoc à parechoc, une jeune femme fait les 100 pas sur le trottoir. Pour le passant qui lui jette un coup d'oeil rapide, elle a l'air d'attendre l'autobus.

De temps en temps, elle laisse traîner un long regard vers les automobilistes. Finalement, l'un d'entre eux lui fait un signe discret de la main. Dès qu'elle monte à bord, une autre fille prend sa place.

La prostitution, à Laval, a ses particularités. Ici, les filles n'ont rien à voir avec celles du centre-ville de Montréal qui travaillent jusqu'au petit matin, vêtues de minijupes de cuir rouge ou de bottes à talons vertigineux.

À Laval, les filles travaillent de jour, explique Annick Lemelin, employée d'un organisme communautaire qui vient en aide aux prostituées lavalloises. «Les filles font le trottoir toute la journée, Mais la bonne heure, c'est l'heure de pointe», dit-elle. L'heure où les banlieusards rentrent à la maison après leur journée de travail.

À Laval, les filles arpentent les grands boulevards des quartiers Chomedey et Pont-Viau. «Elles ont généralement l'allure de petites dames bien simples», explique Lydia, qui travaille pour le même groupe.

L'an dernier, ce groupe, que nous préférons ne pas nommer pour ne pas nuire au travail des intervenantes, a distribué pas moins de 160 000 condoms dans une dizaine de bars de danseuses, d'agences d'escortes et de salons de massage de Laval.

Le proxénétisme serait très présent et les gangs de rue auraient de plus en plus la mainmise sur la prostitution à Laval. «Les gangs sont vraiment présents ici. C'est le nouveau Montréal. Les filles qui veulent rester indépendantes ont beaucoup de difficulté à éviter la violence», ajoute Karine, une collègue de Lydia et d'Annick.

Sur le boulevard Curé-Labelle, le décor est celui des banlieues ordinaires. Les filles font le trottoir devant un motel, un club vidéo, un centre de conditionnement physique.

Une des filles repère notre voiture dans le stationnement d'un supermarché. Elle nous fait un signe de la main. Devant notre refus, elle fait la moue et poursuit sa route.

Quelques instants plus tard, elle ouvre la portière d'une petite Accent grise. Tout juste avant de monter dans sa voiture, elle échange un regard avec un homme garé tout près à bord d'une Mustang.

Moins de 15 minutes plus tard, elle a déjà repris son poste, près de l'abribus.

De l'autre côté de la rue, une autre fille, cheveux blonds frisés, chandail ultra-court, arpente le trottoir et jette des regards langoureux aux automobilistes. Elle titube. Nous l'avons vue à deux reprises entrer dans un crackhouse de la 75e Avenue durant la journée.

Les prostituées font aussi le trottoir sur un tronçon du boulevard des Laurentides, dans le secteur Pont-Viau, autre coin dur de Laval.

En ce jeudi soir, près d'un bar d'effeuilleuses à l'angle de la rue Grenon, les filles répètent sans arrêt la même chorégraphie. Lorsque le feu vire au vert, elles traversent en balançant les hanches.

Une ravissante jeune femme d'origine latine scrute avec insistance les automobilistes. Elle disparaît rapidement dans une voiture. Presque aussitôt, une autre jeune fille, une blonde pulpeuse, débouche d'un dédale de petites rues. Un travesti viendra même se poster au coin de la rue un peu plus tard.

Personne ne semble embêté par les quelques voitures de police qui ont passé.

De retour dans Chomedey un peu plus tard, une autre fille est à l'oeuvre sur le boulevard Curé-Labelle. Très jeune, elle se pavane sur le trottoir, roule les hanches.

Un client, au volant d'une voiture garée dans le stationnement du supermarché, lui fait un appel de phares.

La jeune femme monte dans la voiture qui se met en marche. Elle s'immobilise au fond du stationnement obscur. Le supermarché est fermé, le client et la prostituée sont tranquilles.

Environ 15 minutes plus tard, la jeune femme ressort et court reprendre sa place sur le boulevard, à l'ombre d'un abribus.

Puis, vers 22h, le flot des voitures diminue sur le boulevard. Les filles sont de moins en moins visibles. Vers minuit, elles ont cessé de faire le trottoir.

Le boulevard est désert.

Seule la musique que crachent les haut-parleurs d'une discothèque voisine du motel Chomedey's Inn déchire la nuit.