Le Mouvement Desjardins, le gouvernement et les Fonds d'intervention économiques régionaux (FIER) ont injecté des millions de dollars dans BCIA en se basant sur des états financiers non vérifiés, a appris La Presse. Une telle décision est contraire à la pratique normale dans le milieu, nous ont dit trois experts.

Pour investir, ces organisations ont analysé la santé de BCIA sur la foi d'états financiers qui n'ont pas été vérifiés en bonne et due forme par une firme comptable externe. Cette vérification est cruciale, puisqu'elle est un gage de la fiabilité des informations financières de l'entreprise.

L'agence de sécurité BCIA, au bord de la faillite, a obtenu 12,5 millions du Mouvement Desjardins depuis le printemps 2008. BCIA a également reçu 4 millions des FIER, financés à 66% par le gouvernement.

Selon les documents que La Presse a obtenus, les états financiers de BCIA ont été «révisés» par la firme Samson Bélair Deloitte & Touche. Une telle révision est toutefois beaucoup moins poussée qu'une vérification.

Mission d'examen

Dans le jargon, cette révision s'appelle une «mission d'examen». À la différence d'une vérification, une «mission d'examen» exige que la firme comptable externe fasse une analyse beaucoup moins exhaustive des documents de l'entreprise. «L'indépendance de l'analyse est moins grande. Les réviseurs se fient davantage à ce que les dirigeants leur disent», a expliqué Jacques Fortin, professeur de comptabilité à HEC Montréal.

Une mission d'examen est aussi beaucoup moins coûteuse pour l'entreprise. Et en pratique, elle décharge la firme comptable qui fait la révision de presque toute responsabilité concernant la validité des états financiers.

Jointe au téléphone, la porte-parole d'Investissement Québec, Josée Béland, a reconnu que la décision de l'agence gouvernementale de se porter garante d'un prêt de 2 millions de Desjardins a été prise sur la base de documents non vérifiés.

«Les PME n'ont pas les moyens de se payer des états financiers vérifiés. Les banques acceptent donc de financer sur la base de missions d'examen, qui comportent tout de même des vérifications importantes», a dit Josée Béland.

Trois experts consultés

Nous avons posé la question à trois experts de l'industrie, à qui nous n'avons pas mentionné le nom du dossier (BCIA). Jacques Fortin, responsable du programme de formation des comptables agréés de HEC Montréal, est catégorique. «Pour une décision d'investissement le moindrement significative, jamais une mission d'examen ne me suffirait», a-t-il dit.

Même réponse de François Chaurette, coprésident de Réseau Capital et patron de la firme d'investissements Novacap. Ce financier aurait «assurément» demandé des états financiers vérifiés pour une entreprise de la taille de BCIA et considérant le financement de plusieurs millions.

À la Banque de développement du Canada (BDC), on nous a indiqué que pour les prêts de plus d'un million de dollars, on exige des états financiers vérifiés. Parfois, il peut y avoir des exceptions, mais l'entreprise doit offrir une garantie solide en échange du financement, comme un immeuble, ou présenter un long historique d'affaires profitable et bien connu du banquier.

À la limite, un financement peut être accordé sur la base d'états non vérifiés, a dit M. Chaurette. Cependant, l'investisseur fera une analyse approfondie de l'entreprise et exigera «que les états financiers vérifiés soient produits au cours de l'année qui suit», a-t-il dit.

Le porte-parole du Mouvement Desjardins, André Chapleau, a admis que BCIA a reçu des fonds sans que l'institution financière ait obtenu des états financiers vérifiés.

«La pratique, c'est d'avoir des états financiers vérifiés. Il peut arriver qu'on investisse sur la base d'une mission d'examen pour une entreprise en croissance, mais c'est sous réserve d'obtenir des états vérifiés. Le dossier de BCIA fait l'objet d'un examen approfondi. On a demandé ces états financiers vérifiés et nous sommes à regarder aujourd'hui pourquoi ils n'ont pas été obtenus», a expliqué M. Chapleau.

En cas de faillite, Desjardins, Investissement Québec et les FIER perdront environ 15 millions de dollars.