Certains hommes se passionnent pour le golf. D'autres préfèrent la pêche, ou collectionnent les timbres. Sur le Montreal Escort Review Board (merb.ca), les membres partagent un passe-temps d'un tout autre genre. Un hobby aussi secret que dispendieux, dont leur entourage sait généralement très peu de choses.

Quelques minutes avant le rendez-vous, Corleone fait parvenir un courriel : sur deux pages, une quarantaine de noms féminins «exotiques» s'alignent. Les mensurations, l'âge et le nom de l'agence de chaque fille avec qui il a fait affaire cette année figurent à côté de détails plus crus sur les «services» et les «extras» offerts.

En annexe figure le budget du quadragénaire montréalais. En un peu plus de six mois, il a dépensé 10 940 $ chez les escortes et dans les salons de massage érotique. «J'ai un budget de 20 000 $ pour l'année, explique l'homme au crâne rasé, assis à la table d'un café du Palais des congrès. C'est beaucoup, mais je n'ai pas d'enfants et je me prive de voyages pour me payer ça. C'est ma passion, j'y dépense un maximum d'argent.»

Élégamment vêtu, mais pas trop, Corleone, qui préfère taire son vrai nom, dit faire affaire avec pas moins de neuf agences d'escortes montréalaises, qui facturent autour de 180 $ l'heure.

Corleone s'exprime d'un ton très calme, dans un français impeccable. C'est le type d'homme qui passerait inaperçu dans une foule. Mais sur merb.ca, un forum de discussion où les membres écrivent des critiques détaillées du travail des prostituées, Corleone – c'est son vrai nom de clavier – est une petite star. Ses revues critiques sont nombreuses et très consultées. Tout y est minutieusement détaillé, du style vestimentaire des prostituées qu'il fréquente, au temps qu'elles mettent pour se doucher avant l'acte, en passant par la présence ou non de cellulite sur leurs corps.

«Quand j'essaie une nouvelle fille, je me dépêche de noter mes impressions, explique-t-il. Pour une heure passée avec une escorte, je peux ensuite passer deux heures à écrire et peaufiner ma revue. J'adore faire ça. Certains gars dépensent des milliers de dollars sur un bateau. Moi, c'est les femmes que j'aime, et j'aime partager mes expériences avec les autres.»

Comme lui, ils sont plusieurs centaines par jour à consulter le site, qui vit de publicités d'agences d'escortes. En tout temps, une cinquantaine de membres y sont connectés, en plus d'une demi-douzaine de représentants d'agences, de quelques prostituées indépendantes et de plusieurs curieux qui préfèrent ne pas s'abonner. Difficile cependant de dire avec précision combien de membres compte merb.ca, créé il y a quatre ans. Certains avancent le nombre de 20 000, qui peut paraître énorme, mais qui reste bien modeste par rapport aux 500 000 à un million de membres que compte TheEroticReview.com, son pendant américain.

Pour la plupart moins actifs que Corleone, les membres de merb.ca, qui se qualifient eux-mêmes de «hobbyistes», passent de longues heures à lire les «revues». «Ca devient vite prenant. Tu peux passer tes soirées sur le site, explique Gaston», un client de salons de massage érotique de Québec, qui dit être tombé sur le site un peu par hasard en cherchant des salons sur Google. «Aussitôt qu'une nouvelle critique apparaît, tu dois la lire. C'est comme une drogue et tu finis par tomber dans une espèce de cercle vicieux : plus tu en lis, plus tu trouves de nouveaux « prospects », plus tu as envie d'y retourner.»

Ces revues font partie intégrale de la routine des «hobbyistes». C'est souvent leur point de départ lorsqu'ils veulent essayer les services d'une prostituée qu'ils ne connaissent pas. «La préparation du rendez-vous, c'est pour moi un des moments les plus excitants», explique Vince, un client montréalais âgé de 32 ans qui travaille dans le milieu de la musique. «Juste avant d'appeler une agence, je passe beaucoup de temps à fantasmer sur les filles qui sont disponibles. J'essaie d'en trouver une qui correspond à mes envies du moment. Puis je consulte toujours le forum, parce qu'il y a plusieurs agences qu'on appelle des «Bait and Switch», dont les sites web montrent des photos de filles extrêmement belles. Quand elles cognent à la porte, ce n'est absolument pas le cas. Grâce à Merb et aux membres, on sait quelles agences ont bonne réputation et quelles sont à éviter».

Les membres y parlent aussi de leurs fantasmes ultimes, de tourisme sexuel ainsi que d'une foule de sujets très anodins. «C'est une communauté comme une autre. À part le fait qu'on visite tous des «professionnelles», on a des intérêts très variés», affirme Gaston, un père de famille qui vit en couple.

Les membres disent pour la plupart qu'ils ne se rencontrent jamais dans la vraie vie. «Il y en a avec qui je clavarde presque tous les jours. C'est mon clan. Mais jamais je ne veux rien savoir de les rencontrer en vrai. Ca ne m'intéresse pas. Merb.ca, c'est ma vie virtuelle, et personne ne sait que je fréquente les prostituées - mes collègues pensent d'ailleurs que je suis une sorte de moine ou que je suis homosexuel», explique Corleone. C'est d'ailleurs aux membres de son clan qu'il réserve en exclusivité les critiques de ses meilleures découvertes. «Quand je tombe sur une fille qui me plaît vraiment, un perle rare, je ne partage mes impressions qu'avec les membres de mon clan, confie-t-il. Sinon, si je fais une critique publique, la fille devient tellement sollicitée qu'il n'y a plus moyen de la revoir.»

Les filles sont les bienvenues, mais...

Selon les règles du forum, les prostituées aussi ont le droit d'interagir sur le site. Mais contrairement aux clients, elles doivent payer leur abonnement de «supporting member» pour obtenir le droit de parole. Le coût : 55 $ par mois ou 139 $ pour trois mois.

Et à ce prix-là, pas question pour elles de réagir dans la section «critiques et revues» du site, qui n'est réservée qu'aux clients.

Sandy, une prostituée indépendante jadis très active sur le forum, a d'ailleurs goûté à la médecine du groupe après avoir confronté un membre. «Il y a vraiment une gang de gars qui se mettent à plusieurs pour dénigrer les filles sur le forum. Le moindrement qu'une fille n'a pas 22 ans et n'est pas roulée comme un mannequin, ils la démolissent. Moi, j'ai le malheur d'être un peu trop ronde au goût de certains, alors ils m'ont tendu un piège», raconte-t-elle. Après quelques engueulades publiques, les administrateurs du site ont suspendu son compte. «Ils m'ont même menacé de me poursuivre en diffamation pour une chicane de virgule», explique-t-elle.

Gaston, un des membres qui a pris sa défense, affirme que les choses dérapent ainsi assez rarement. «Mais il reste que le site est un repaire de machos. Certains respectent profondément les filles, mais d'autres les méprisent. Ca dépend beaucoup de ce qu'ils cherchent comme rencontre et leur attitude sur le forum doit ressembler beaucoup à celle qu'ils ont quand ils voient les filles en face à face», dit-il.

Dans ces conditions, les prostituées admettent pour la plupart entretenir une relation amour-haine avec merb.ca et ses membres. «Mais quand tu regardes les choses très froidement et que tu te dis : «Hé, la revue qu'ils ont faite de moi a été vue 39 000 fois», tu te dis que ça vaut bien le coup de subir un peu de remarques insultantes et de te sentir comme si t'étais du bétail. Si on fait bien notre boulot, c'est une publicité incroyable que les membres nous font», constate Sandy.

Le kit du parfait hobbyiste : mon lubrifiant, ma brosse à dents !

Quand Corleone se paie les services d'une prostituée, il apporte toujours avec lui son « baise-en-ville », un kit du parfait hobbyiste qu'il a peaufiné au fil des ans. Voici ce qu'il contient :

> Une paire de bas de nylon

> Une minijupe

> Du Viagra, acheté en Inde

> Du lubrifiant et des condoms («juste au cas où»)

> Une bouteille de désinfectant à mains Purell

> Un rasoir

> Une brosse à dents

> Une bouteille de rince-bouche

> Une minibouteille de vin blanc et de vin rouge

> De l'huile à massage

> Un DVD de Dire Straits (« Je le démarre à 28 minutes. Quand une des pièces se termine, je sais qu'il me reste exactement 10 minutes pour conclure. »)

> Un carnet et un stylo