Dans son livre, Julie Couillard confie que le coprésident du groupe immobilier Kevlar, Philippe Morin, a commencé par la séduire avant d'utiliser ses charmes pour tenter de convaincre un conseiller politique et le ministre Maxime Bernier d'agir en faveur du groupe dans un important contrat d'édifice fédéral à Québec.

C'est la première fois que la relation intime entre M. Morin et Mme Couillard est portée à l'attention du public. En juin, La Presse avait révélé que les dirigeants de Kevlar avaient eu recours à Mme Couillard pour faire progresser leur projet d'immeuble à Québec. Mais nous ignorions le dernier détail, dévoilé dans le livre.

Les partis de l'opposition ont réclamé une enquête sur les moyens peu orthodoxes employés par Kevlar. Malgré cela, la firme n'a pas été rayée de la liste des promoteurs qui pourraient décrocher le contrat. Au contraire, elle pourrait se qualifier dans le deuxième appel d'offres qui a été lancé l'été dernier, après l'échec du premier appel d'offres.

Kevlar propose au gouvernement fédéral de construire son futur immeuble dans un stationnement qui lui appartient au centre-ville de Québec. De son côté, le maire Régis Labeaume, appuyé par des députés et la Chambre de commerce, demande que l'édifice soit construit dans le secteur d'Estimauville, que la Ville de Québec veut revitaliser, aux limites du quartier de Limoilou.

Le ministre des Travaux publics, Christian Paradis, député conservateur de Mégantic-L'Érable, a dit dernièrement qu'il refusait de s'engager à regrouper les fonctionnaires fédéraux travaillant à Québec dans ce secteur. Le deuxième appel d'offres permet encore à des promoteurs de proposer un édifice dans un périmètre beaucoup plus large, incluant le centre-ville. Ainsi, au bout du processus, la firme Kevlar pourrait rafler le contrat.

Dans son livre, Mme Couillard raconte que Philippe Morin l'a abordée dans un bar de Montréal au cours de l'hiver 2007. En réponse à sa question, elle lui a dit qu'elle suivait un cours d'agent immobilier. Il s'est présenté comme le propriétaire de Kevlar. Ils ont développé une relation aussi brève qu'intime. Peu après, Mme Couillard a rencontré Bernard Côté, membre du cabinet de Michael Fortier, qui était alors le ministre des Travaux publics.

Lorsque M. Morin a appris que Mme Couillard s'était rapprochée de M. Côté, il lui a dit: «Bien, la prochaine fois que tu le verras, tu lui diras un bon mot pour mon terrain à Québec», apprend-on dans le livre. Il lui a ensuite expliqué que «c'est lui, Bernard, qui s'occupe de ça (les contrats)». M. Morin a offert à Mme Couillard de représenter Kevlar dans le dossier du projet d'immeuble à Québec.

Deux contrats entre Couillard et Kevlar

Quand La Presse a eu vent de cette affaire, le printemps dernier, le deuxième dirigeant de Kevlar, René Bellerive, a tout nié en bloc et déclaré que Mme Couillard n'avait jamais travaillé pour la firme. «J'avoue que je n'ai pas compris pourquoi Philippe Morin et René Bellerive ont par la suite nié que je n'avais jamais travaillé chez Kevlar, écrit Mme Couillard. Il est vrai que je n'avais pas de bureau dans les locaux de la compagnie, puisque je travaillais de chez moi. Mais nous étions liés par deux contrats.» (Bernard Côté a été congédié lorsque La Presse a fait enquête sur sa liaison avec Mme Couillard.)

Puis, le 26 avril 2007, Philippe Morin, René Bellerive et un de leurs amis, Éric Boyko, ont organisé une rencontre entre Julie Couillard et Maxime Bernier, alors ministre de l'Industrie, au restaurant-bar Cavalli, rue Peel, à Montréal.

«Nous étions une dizaine de personnes autour de la table, raconte Mme Couillard. Maxime s'est assis à côté de moi, avec Philippe à sa droite et Éric Boyko en face de lui. René Bellerive était aussi présent. Dans les dernières minutes, le groupe s'est enrichi, si j'ose dire, de quatre jeunes filles que Philippe avait amenées à notre table, jolies, assez court vêtues et plutôt engageantes.»

Plus tard dans la soirée, Philippe Morin «s'est montré très satisfait de voir que ça cliquait entre Maxime et moi», ajoute Mme Couillard.

La Presse a tenté en vain, hier, de parler à M. Morin ou à un porte-parole du groupe Kevlar. Il a aussi été impossible de parler à Christian Paradis, ministre des Travaux publics.

Jean-François Gosselin, député adéquiste de Jean-Lesage, qui comprend le secteur d'Estimauville, a dit hier qu'il ne comprenait pas pourquoi l'appel d'offres relancé par M. Paradis ne se limite pas à d'Estimauville. «Ça, on ne comprend pas, a-t-il dit. Le maire et moi, on a demandé à maintes reprises que l'appel d'offres se limite à d'Estimauville... on ne comprend pas pourquoi ça n'a pas été fait. Ça aurait pourtant été simple.»

Le nouvel édifice, où seront regroupés les 700 fonctionnaires fédéraux travaillant à Québec, coûtera entre 50 et 60 millions. Le gouvernement le louera au promoteur pendant 20 ans, à un coût total qui pourrait atteindre les 300 millions, après quoi il en sera le propriétaire.