Le juge de la Cour supérieure James Brunton accuse le gouvernement québécois d'improvisation dans sa planification des superprocès.

Il aurait fallu plus de salles d'audience et plus de juges de la Cour supérieure pour juger dans des délais raisonnables les 155 membres des Hells et leurs associés, selon le magistrat.

Le juge Brunton est convaincu qu'il n'avait pas le choix de mettre fin au processus judiciaire dans le cas de 31 des 155 motards arrêtés, faute «de toute position cohérente offerte par le Directeur» des poursuites criminelles et pénales (DPCP).

Si le DPCP, dont le grand patron est Me Louis Dionne, «désirait poursuivre tous les requérants sur tous les chefs, dans des délais raisonnables, il aurait fallu quatre salles d'audience similaires à celles disponibles au Centre judiciaire Gouin et l'ajout de juges à la Cour supérieure», a écrit le magistrat dans sa volumineuse décision.

Le juge Brunton prédit que l'histoire pourrait se répéter. «Les arrêts de procédures accordés soulignent qu'il n'est pas suffisant d'adopter un plan d'enquête et de poursuites uniquement axé sur la cueillette de la preuve, poursuit-il. Si le Directeur ne procède pas à une analyse de la capacité, pour le système de justice, de traiter du nombre d'accusés prévus, il risque d'obtenir les mêmes résultats qu'aujourd'hui.»

Le DPCP interjettera appel, «en regard notamment des obligations que le juge impute au poursuivant quant à l'impact et à la gestion d'un acte d'accusation direct sur l'administration de la justice», a-t-il précisé dans un communiqué diffusé hier en fin de journée.

D'autant plus que ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, vient d'annoncer l'ajout de six nouvelles grandes salles d'audience au palais de justice de Montréal en prévision de ce genre de procès, soulignent des sources près du dossier, qui s'offusquent de la dureté du jugement Brunton à l'égard du gouvernement québécois.

«Échec total»

M. Fournier a refusé de commenter l'affaire, hier, préférant s'entretenir au préalable avec Me Dionne.

De son côté, la critique du Parti québécois en matière de justice, Véronique Hivon, a durement attaqué le DPCP et le ministre de la Justice: «À l'époque, on avait prévenu que la bouchée était énorme, et on voit aujourd'hui l'échec total du système de justice, a-t-elle dit. Le juge attribue directement cet échec au ministre et au Directeur des poursuites.»

Le grand patron du DPCP, Me Dionne, n'en est pas à sa première bévue, selon la députée péquiste. Elle a cité l'avortement du procès des coaccusés de Vincent Lacroix et le fait que les procureurs de la Couronne aient demandé sa tête. «Et avec le fiasco d'aujourd'hui, il devrait réfléchir à son avenir», a-t-elle lancé.

Mais c'est le ministre Fournier qui est «l'ultime responsable» de ces problèmes, selon la critique péquiste. «Je n'ai jamais vu un jugement aussi dur à l'endroit de la poursuite. De tels commentaires de la part d'un juge, on ne voit pas ça souvent», a souligné Mme Hivon.