Moins de 24 heures après avoir remis aux élus son rapport sur le contrat des compteurs d'eau, qui a eu l'effet d'une bombe lundi soir à l'hôtel de ville, le vérificateur général a fait le point hier matin sur son processus d'enquête. Jacques Bergeron a interrogé 27 personnes pour parvenir à 58 constats plus accablants les uns que les autres.

L'enquête du vérificateur général a commencé au mois de mai dernier. Elle s'articulait autour de trois questions: le bien-fondé du contrat lui-même, l'attribution du contrat à GÉNIeau et, enfin, son prix.

1. Le bien-fondé

Après avoir analysé la solution préconisée pour la mise en oeuvre du projet d'installation des compteurs d'eau dans les immeubles industriels, commerciaux et institutionnels (ICI), de même que la portion «Optimisation du réseau», Jacques Bergeron conclut que cette portion, qui devait servir à limiter les fuites dans le réseau d'eau, n'a pas fait l'objet d'une analyse coûts-bénéfices rigoureuse ni d'étude technique. Les avantages financiers du volet Optimisation sont incertains, conclut-il. Son enquête démontre que les élus ont été mal informés des coûts du projet, lesquels ont bondi de 150 millions en 2006 à 600 millions aujourd'hui. «On ne leur a parlé que de l'aspect autofinancement», déplore le vérificateur général.

2. Attribution du contrat à GÉNIeau

Jacques Bergeron s'est particulièrement attardé à déterminer si le contrat a été accordé à GÉNIeau conformément aux cadres, règlements et loi en vigueur. Il a aussi voulu savoir si les principes de transparence, de concurrence, d'équité, d'éthique avaient été respectés, et vérifier que l'on s'était assuré d'obtenir le meilleur rapport qualité-prix. À ce chapitre, il constate que le fait de ne pas avoir procédé à des appels de qualification et de propositions distincts pour chacun des volets du contrat a eu pour conséquence de limiter le nombre d'offrants à cause de l'ampleur du projet.

De plus, une clause «montréalaise», avec exigence de financement, a eu pour effet de restreindre la concurrence. Il déplore aussi le fait que la Ville n'a pas négocié les tâches de devis de performance avec les cols bleus (voir autre texte).

Cette portion de l'enquête du vérificateur met aussi en lumière le manque d'expertise de la Ville et le fait que, faute de personnel, la Direction du contentieux ne s'est pas engagée de manière soutenue.

Toute une portion de l'enquête a été transmise à la Sûreté du Québec. «Je ne suis pas enquêteur, je suis vérificateur», a dit Jacques Bergeron, interrogé à ce sujet.

3. Le juste prix

Le vérificateur général s'est enfin demandé si le contrat accordé à GÉNIeau, pour une somme record de 356 millions, avait été attribué à «juste prix» et si les Montréalais en ont eu pour leur argent.

«La décision d'implanter la gestion en temps réel du réseau de manière systématique, à la grandeur de l'île de Montréal, était prématurée et avec des conséquences incertaines.» Sur une bonne note, il enchaîne en mentionnant que l'analyse de son équipe permet de conclure que le prix d'achat et d'installation des compteurs d'eau est concurrentiel et reflète le marché.

Cependant, un questionnement sérieux subsiste au sujet des frais additionnels et des marges de profit qui se sont ajoutés par la suite. «Il aurait pu être avantageux de scinder le contrat en plusieurs sous-projets distincts afin de bénéficier du meilleur prix pour chacun de ses sous-projets», indique le vérificateur. Il ajoute que, à la fin de la période d'exploitation de 15 ans prévue pour les compteurs, la Ville se verra dans l'obligation de les remplacer tous, opération qui sera «assurément coûteuse».

Conclusions générales

Le vérificateur général a exprimé plusieurs inquiétudes sur les liens entre des intervenants de la Ville et des partenaires externes. Il a des réserves sur la façon dont le projet initial a été modifié et sur la rapidité avec laquelle le nouveau volet optimisation a été introduit et approuvé. Il a également de sérieuses réserves sur le coût total des compteurs, compte tenu des frais additionnels prévus au contrat. Il recommande enfin la création qu'un comité d'experts indépendants se penche sur la gestion des deux autres projets du chantier de l'eau et décide si une vérification serait nécessaire.

Le parcours de Jacques Bergeron

Avant de prendre la relève de Michel Doyon à titre de vérificateur général de Montréal, Jacques Bergeron a notamment travaillé pour la firme KPMG. Il a été directeur principal, contrôle et gouvernance des systèmes d'information de Deloitte et Touche. À ce titre, il supervisait des mandats et du personnel en vérification et en gouvernance des systèmes d'information. Jusqu'à sa nomination à la Ville de Montréal, il détenait toujours un poste au département de sciences comptables de HEC Montréal. En parcourant son curriculum vitae, on apprend aussi qu'il a été responsable de la vérification des tirages de loteries pour le compte de Loto-Québec.