La Presse vous raconte la vie d'Arturo Gatti, ce phénix du ring qui ne renaîtra plus de ses cendres. De son enfance à Montréal-Nord à ses débuts dans un quartier difficile de Jersey City, en passant par sa vie de millionnaire à Hoboken, ses succès à Atlantic City et son après carrière de retour au Québec, jusqu'à sa fin tragique dans une station balnéaire au Brésil.

1980. Club de boxe olympique sur l'avenue du Parc au coin de la rue Bernard, à Montréal. Arturo la Malice court à travers les jeunes boxeurs amateurs qui le dépassent tous d'au moins une tête. Comme la petite peste attachante du dessin animé, il a des yeux malcommodes et un sourire charmeur.

 

L'enfant de 8 ans n'a pas encore l'âge de boxer chez les amateurs. Il tire sur le short de son grand frère, Joe, pour le déculotter devant tout le monde. Il pousse le sac de sable d'un ami de Joe, Mike Moffa, qui rate sa cible et cogne dans le vide. Le petit Arturo court se réfugier derrière son protecteur, l'entraîneur Dave Campanile.

Joe le rattrape et lui donne une leçon... sur le ring. «Tu dois renforcer ta mâchoire», lui dit son frère de 13 ans en lui assénant de bons coups de poing au visage. Arturo encaisse sans broncher. Et essaie d'en donner quelques-uns. Il a été averti. S'il pleure, Joe ne l'emmènera plus au gymnase.

«On y allait fort pour le calmer. Disons qu'on était jeunes nous-mêmes. Aujourd'hui, on ne laisserait pas des gros gars se battre contre un petit dans le ring», se souvient Mike Moffa, devenu un entraîneur de boxe réputé.

Son grand frère ne se sert pas juste du ring pour le «renforcer». Les ruelles de leur quartier, Montréal-Nord, leur servent de lieu d'entraînement. Au hockey bottine, Joe pratique ses lancers frappés sur son petit frère gardien de but. En vélo, le grand frère ordonne au petit Arturo de se recroqueviller pour sauter par-dessus lui. «Mon frère n'avait peur de rien. Il disait qu'il voulait devenir ninja», raconte Joe en riant.

À la maison, Giovanni, leur père électricien, se sert souvent de ses pantoufles comme cibles d'entraînement pour ses apprentis boxeurs. À tous ceux qui veulent l'entendre, le Calabrais répète que ses fils deviendront champions du monde. Joe et Arturo ont trois soeurs - Giuseppina, Ana-Maria et Mirella - et un petit frère, Fabrizio.

Au souper, Ida, la mère couturière, sert parfois un steak aux garçons. Les filles, elles, n'y ont jamais droit. Quand la chambre de Joe et d'Arturo est en désordre, c'est aux filles d'y faire le ménage.

Le père Gatti est sévère. Seulement deux amis d'Arturo ont le droit de mettre les pieds dans la maison familiale de l'avenue du Parc-Georges: Tony Rizzo et Christian Santos.

À l'école primaire Saint-Rémi, Christian et Arturo sont dans la même classe. Arturo passe plus de temps dans le coin que sur sa chaise. «Moi, j'étais l'enfant sage. Il copiait mes devoirs. Je me suis retrouvé quelques fois dans le coin à cause de lui», se souvient l'ami d'enfance.

Au secondaire, à l'école Louis-Joseph-Papineau, Arturo n'est pas plus à son affaire. Il n'est plus envoyé dans le coin, mais il se fait donner des leçons. «Regarde les films de Rocky: la boxe ne te mènera nulle part. Concentre-toi sur l'école», lui dit souvent sa professeure d'enseignement religieux. À la même période, son père meurt dans un bête accident de travail. À partir de ce moment, la boxe devient la priorité du jeune Gatti. Il quitte l'école avant d'obtenir son diplôme. Il travaille dans une usine de matelas, puis dans une manufacture de son quartier pour gagner un peu d'argent.

Des années plus tard, le boxeur n'aura pas oublié les propos de son enseignante. En 1995, alors champion du monde pour la première fois, il cogne chez Christian, qui vit toujours à Montréal-Nord. «Hé Chris, allons montrer ma ceinture aux profs de Louis-Joseph-Papineau», lancera-t-il en boutade à son fidèle ami.

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Juin 1988. Belfast, Irlande. Arturo est champion canadien junior. Il a 16 ans et pèse 106 livres. L'entraîneur de l'équipe canadienne senior, Bernard Barré, lui fait une place dans son équipe pour le duel Canada-Irlande qui a lieu cet été-là. Même s'il est seulement junior, Arturo est plus talentueux que le senior. Barré décide donc de faire une entorse au règlement.

Mais arrivé à Belfast, Barré regrette sa décision. Il découvre que la grande vedette locale de ce duel Canada-Irlande est dans la même catégorie qu'Arturo (106 livres). La vedette s'appelle Wayne «Pocket Rocket» McCullough. Il a 18 ans. Les journaux ne parlent que de lui.

Avant le combat, Barré fait promettre à Arturo de ne pas chercher le trouble, de «travailler son adversaire à distance». «Pas de problème, coach», répond Arturo. Mais une fois sur le ring, le plan de match ne tient plus. «Pocket Rocket» veut le mettre K.-O. au départ. Arturo est piqué au vif. «Dans un combat, quand Arturo était provoqué, il cherchait la bagarre. Même à cet âge-là», indique Bernard Barré. Sauf que «Pocket Rocket» est beaucoup plus fort.

Le premier round n'est pas terminé qu'Arturo est envoyé deux fois au tapis. S'il reçoit un troisième compte de huit dans le même round, il est suspendu pour le prochain combat. Son tournoi serait à l'eau. Barré décide de jeter l'éponge. Arturo est furieux.

Que ce soit à 16 ans contre «Pocket Rocket» ou à 33 ans contre Mayweather Jr, Arturo ne s'avouait jamais vaincu. Même quand il n'avait aucune chance.

Lors de son second combat à Belfast, Arturo est entré dans le ring avec un «couteau dans les dents». Il n'a fait qu'une bouchée d'un autre adversaire irlandais.

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Octobre 1990. Lima, Pérou. Championnat du monde junior. Arturo perd son combat. Le reste de l'équipe canadienne n'a pas plus de succès. Le jeune Gatti oublie vite sa défaite. Il découvre que des chevaux sont mis à la disposition des participants au tournoi. «On va faire du cheval», dit-il à son entraîneur, Stéphane Larouche.

Larouche est sceptique. Le temps qu'il demande les autorisations nécessaires aux responsables du tournoi, Arturo a disparu. Parti à cheval. Sans attendre la permission. Et sans en avoir jamais fait avant.

Son entraîneur et le reste de l'équipe finissent par le rejoindre, eux aussi à cheval. «Arturo nous a guidés dans les montagnes comme s'il en avait fait toute sa vie. Nous, on était super prudents. Lui, il sautait des obstacles comme dans les films», raconte Stéphane Larouche. Ce dernier n'a pas été capable de le réprimander ce jour-là. Comme tous ceux qui l'ont côtoyé, l'entraîneur était sous le charme de l'intensité d'Arturo. Une intensité sans borne à l'intérieur comme à l'extérieur du ring.

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Hiver 1991. Restaurant Le Bourbon dans Hochelaga-Maisonneuve. Arturo est attablé devant Yvon Michel et Gaby Mancini. Michel est le directeur de la Fédération québécoise de boxe olympique, Mancini en est le président. Tout frais sorti des rangs juniors, Arturo vient de subir une défaite difficile à avaler contre l'Ontarien Michael Strange au premier tournoi de sélection en vue de former l'équipe qui représentera le Canada aux Jeux olympiques de Barcelone. Arturo ne le sait pas encore, mais Strange deviendra l'un des meilleurs boxeurs amateurs de l'histoire au pays. Il sera 11 fois champion canadien et ira trois fois aux Jeux olympiques.

Le jeune Gatti est décidé, il passe chez les pros. «J'ai analysé tout ça. Je ne peux pas battre Strange. Il a le style amateur. Moi, j'ai le style professionnel. Je n'irai pas aux Jeux olympiques, c'est sûr.»

Yvon Michel n'est pas d'accord. «Tu es trop jeune encore. Tu fais la pire bêtise de ta vie.» Une défaite chez les amateurs n'est pas coûteuse. Ça permet de prendre de l'expérience. Chez les pros, c'est autre chose. Michel sait que deux ou trois adversaires mal choisis en début de carrière, ça ne pardonne pas. Un jeune boxeur doit «construire sa fiche» patiemment.

Mais Michel sait bien aussi que le père d'Arturo était très près des Hilton. Dave Hilton Sr considérait les Jeux olympiques comme une perte de temps. Les fils Hilton sont passés chez les pros très vite. Et Dave Hilton Jr a une grande influence sur Arturo. Il sort avec sa grande soeur, Ana-Maria, depuis qu'ils ont 14 ans. Le grand frère d'Arturo, Joe, est déjà aux États-Unis, où il sert de partenaire d'entraînement à un autre des frères Hilton, Matthew.

«Je vais aller habiter chez mon frère au New Jersey. Ma décision est prise. Je vais commencer ma carrière là-bas», réplique Arturo sur un ton poli, reconnaissant même, mais sans appel.

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Printemps 1991. Jersey City, nord-est du New Jersey. Arturo vient de débarquer chez son frère avec comme seul bagageson sac de vêtements et une photo de son défunt père. Il ne parle même pas anglais.

«The Gattis», comme on les appelle ici, passent plusieurs heures par jour dans le minuscule gymnase aménagé au deuxième étage du bar le Ringside. Pour monter à l'étage, les deux frères doivent passer à côté du bar où, peu importe l'heure du jour, il y a toujours une poignée d'ouvriers qui sirotent leur bière assis sur de vieux tabourets. Le bruit des télés n'enterre pas celui de Tonnele Avenue, qui devient l'autoroute 9 menant à la Floride. Dans la cour arrière, il y a quelques poids et haltères et une cabane qui abrite d'immenses cages à pigeons. Sur la porte de la cabane, on peut lire l'inscription «Tyson's corner» (le coin du boxeur Mike Tyson). De la cour, on a une vue sur un terrain vague où il vaut mieux ne pas s'aventurer la nuit tombée.

Après leur entraînement, «The Gattis» vont manger des hamburgers au White Mana, un fast-food en face du Ringside. Le restaurant et le bar sont situés à un jet de pierre de l'appartement où les deux frères sont hébergés gratuitement. Les trois endroits appartiennent au même homme: Mario Costa.

Ce personnage tout droit sorti d'un épisode des Soprano gérait déjà la carrière de Joe quand Arturo est arrivé. Costa prend naturellement en main la carrière du plus jeune avec l'aide de son partenaire d'affaires, Pat Lynch. Lorsqu'ils négocient un combat pour Joe, ils imposent le jeune Arturo en sous-carte.

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Août 1991. Robert Treat Hotel, Newark, New Jersey. Pat Lynch est inquiet. Le troisième combat professionnel d'Arturo n'est pas encore commencé. Il sera diffusé sur une chaîne de télé locale, le New York Sports Channel. Les commentateurs confirment ce que Lynch pense déjà: le promoteur de Gatti aurait dû choisir un adversaire «moins risqué» qu'un dénommé Richard De Jesus.

«Tu as un adversaire plus difficile que ce que j'aurais voulu», dit le manager à Arturo avant le combat. Arturo lui coupe la parole. «Si je ne peux pas battre un inconnu comme Richard De Jesus, je ne deviendrai jamais champion du monde.»

Ce soir-là, le combat n'aura même pas eu le temps de commencer. Arturo met Richard De Jesus K.-O. en 28 secondes.

Le promoteur bien en vue Lou Duva, de la société Main Events, est dans la salle. Arturo et son manager sortent à peine du ring lorsqu'ils voient le promoteur courir pour les rattraper. «Le kid est spécial», dit le promoteur. Main Events fera la promotion d'Arturo Gatti durant toute sa carrière. Une loyauté exceptionnelle dans le monde de la boxe.

Cette nuit-là avant de se coucher, comme tous les autres soirs, Arturo allume la chandelle à côté de laquelle trône la photo de son défunt père pour une courte prière. «Tu deviendras champion du monde.» Son père le lui a tant répété, avec ses pantoufles dans les mains en guise de cible, dans leur maison modeste de Montréal-Nord.

LA GLOIRE

Mars 1996. Madison Square Garden, New York. Deuxième round du combat contre l'aspirant au titre, Wilson Rodriguez. L'oeil droit d'Arturo est très enflé et pratiquement fermé. Son adversaire l'envoie au tapis avec une combinaison droite-gauche.

Ça ne peut pas finir comme ça. Il ne peut pas perdre son titre de champion du monde super-plumes. Pas trois mois à peine après l'avoir remporté par décision contre l'Américain Tracy Harris Patterson.

Et sa BMW sport dernier cri. Et Pat Lynch, son manager, qui va faire une crise cardiaque.

La veille de son combat, sûr de lui - comme d'habitude -, Arturo a commandé chez un concessionnaire une BMW comme celle dans le film de James Bond, couleur blanc perle. S'il perd ce combat, il ne pourra pas se la payer.

Près du ring, Lynch retient son souffle. Fabrizio, le plus jeune frère du boxeur, est dans la loge. Il est incapable de regarder le combat. Mais à en juger par les cris de la foule, il a raison d'être inquiet.

Arturo se relève aussitôt. Le combat se poursuit. Les analystes commencent à penser qu'il n'aura été qu'une étoile filante. De retour dans son coin, le soigneur Joe Souza le prévient: il n'a plus beaucoup de temps. Il ne verra bientôt plus rien. «Tu sais ce que tu dois faire», dit-il au boxeur de 5 pi 7.

Au troisième round, Arturo met toute la gomme. Il cherche à passer le K.-O. à son adversaire. La foule scande «Gatti, Gatti, Gatti!». Il est tout sauf défensif. Il continue à subir une raclée, mais réussit à ébranler quelque peu Rodriguez avec son fameux crochet de la gauche. Le quatrième round est encore plus intense. Arturo boxe pratiquement «dans le noir». La foule est debout.

Au cinquième round, Arturo perd un point pour avoir atteint son adversaire sous la ceinture. Dans la dernière minute du round, il se remet de belle façon. Il envoie Rodriguez au tapis avec un crochet aux côtes. Rodriguez se relève. La foule est toujours debout.

Au sixième round, Arturo multiplie les coups au corps. La foule scande son nom de nouveau. Le boxeur montréalais ressort son meilleur coup, le crochet de la gauche, et renvoie encore Rodriguez au tapis. Son adversaire est K.-O. Il lui faudra une bonne minute pour se relever.

Pour le célèbre commentateur de HBO Larry Merchant, c'est tout simplement «le meilleur combat de tous les temps».

Avant ce soir-là, Arturo «Thunder» Gatti était peut-être champion du monde, mais il n'était pas célèbre. Aujourd'hui, il vient de renaître de ses cendres tel un phénix. Et le business de la boxe professionnelle aime les phénix. On le compare au légendaire Jake «Raging Bull» LaMotta, qui a inspiré un film à Martin Scorsese.

Rapidement, Arturo éclipsera son frère, Joe, qu'on dit plus talentueux, mais mille fois moins courageux sur un ring. Il coupera aussi les ponts avec Mario Costa, «le Soprano», de qui il se méfie depuis son arrivée aux États-Unis. Joe, lui, est toujours ami avec Mario Costa. Cela contribuera à éloigner les deux frères.

Arturo refera le coup du phénix contre Gabriel Ruelas en 1997. Le premier de ses quatre combats choisis «combat de l'année» par le réputé magazine américain The Ring. Il deviendra aussi le chouchou du réseau américain HBO. Pour un boxeur, voir son combat diffusé sur cette chaîne, c'est comme gagner la Coupe Stanley pour un hockeyeur. Gatti est dans le top 10 des boxeurs ayant eu le plus de combats diffusés sur cette chaîne (21 combats).

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Août 1999. Foxwoods Resort, Mashantucket, Connecticut. Arturo fait les cent pas dans sa loge. Il n'a pas l'air d'un vainqueur. Et pourtant, il vient de remporter son combat. Son adversaire, Reyes Munoz, est sorti du ring sur une civière. K.-O. au premier round.

Non, il ressemble plutôt au Arturo des trois combats précédents. Le Arturo défait trois fois d'affilée après avoir abandonné son titre pour grimper dans la catégorie des poids légers (135 livres). D'abord contre Angel Manfredy, puis deux fois contre Ivan Robinson.

Mais ce soir, il a gagné. Et pourtant, il a une mine déconfite. «Peux-tu me trouver une limo? Je veux aller voir Munoz à l'hôpital», dit le boxeur à son entraîneur, Matt Howard.

En route vers l'hôpital, la limousine croise un McDo. Le boxeur, toujours affamé après un combat, a l'habitude d'y manger un Big Mac et des frites. Affamé est un euphémisme. Il a toujours eu énormément de difficulté à «faire le poids». D'où son changement de catégorie.

Six semaines avant un combat, Arturo pouvait arriver au camp d'entraînement avec 20 ou 25 livres en trop. Pour le motiver, chaque matin, Howard inscrivait avec un bâton de rouge à lèvres le poids du boxeur sur son miroir de salle de bains. Plus le camp avançait, plus les livres s'égrenaient. Et plus l'humeur d'Arturo devenait maussade.

Ce soir-là, après le combat contre Munoz, Arturo a des sueurs froides tellement il a envie d'un Big Mac. «Veux-tu arrêter?» lui demande Matt Howard. «Non, on va à l'hôpital. On arrêtera en revenant», dit-il à son entraîneur. À l'hôpital, Arturo est accueilli par la famille de Munoz. Le Portoricain est hors de danger. Mais Arturo a mis fin à sa carrière. Les risques du métier. Arturo quitte l'hôpital. Direction: l'arche dorée.

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Fin des années 90. New York. Il est 4h, un dimanche matin, dans un club de la Grosse Pomme. Mike «Red» Skowronski et Arturo y boivent depuis plusieurs heures. Ils n'entendent pas le serveur annoncer le last-call. Quand Arturo commande une autre bière, le serveur refuse de la lui servir. «Si je ne peux pas boire, personne ne peut boire», lance le boxeur accoudé au bar. Il se met alors à vider les verres des cinq ou six clients qui, eux, avaient commandé une dernière consommation.

«Après ça, il s'est senti mal. C'est tellement Arturo. Des montagnes russes. Quelqu'un qui n'obéit à aucune règle», raconte Mike «Red», son meilleur ami aux États-Unis. À l'époque, l'entourage du boxeur s'inquiète pour lui. Mais impossible de lui faire la leçon. Il n'aurait pas écouté.

Lorsque le boxeur s'entraîne pour un combat, il réussit la plupart du temps à s'astreindre au régime sec. Mais entre deux combats, il passe autant (sinon plus) de temps dans les bars que dans son appartement de 1,2 million avec vue sur Manhattan dans la chic banlieue de Hoboken. On est à des années-lumière de l'appartement partagé avec son frère Joe à leurs débuts dans un quartier difficile de Jersey City. Soir après soir, il flambe sa fortune dans les clubs.

Durant une conférence de presse à la suite de sa seconde défaite contre Ivan Robinson, il boit du vin dans un verre de carton, alors que tout le monde croit que c'est une boisson gazeuse. À la même époque, à Miami, il sera poignardé durant une bagarre au sujet d'une femme.

Il sera aussi arrêté deux fois pour conduite avec facultés affaiblies, dont une fois à Montréal. Son avocat est alors le criminaliste montréalais Loris Cavaliere, qui a notamment défendu le clan Rizzuto. Arturo plaidera coupable et acquittera une amende.

«L'alcool, les femmes. C'est sûr qu'il avait ses démons. Mais personne n'est parfait. Spécialement dans ce sport», confie le président de HBO Sports, Ross Greenburg.

Ses fans, malgré ses frasques et ses défaites, ne l'abandonnent pas. «Il était du type mauvais garçon et les gens adorent les mauvais garçons», indique Kathy Duva de Main Events, le promoteur du boxeur.

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Septembre 2000. Montréal, 19h. Arturo est terré dans un bar. Non loin de là, dans la Petite Italie, une foule de quelques centaines de fans attend impatiemment son idole. Une portion du boulevard Saint-Laurent est même fermée pour la séance d'autographes. C'est l'une des nombreuses activités organisées par le promoteur québécois InterBox cette semaine-là pour promouvoir le retour de l'enfant prodigue.

19h. 19h30. 20h. Le temps file. Et toujours pas d'Arturo. Yvon Michel, d'InterBox, s'arrache les cheveux. Depuis le début de la semaine, «c'est l'enfer» de lui faire respecter l'horaire de promotion. Le boxeur s'entraîne, puis disparaît. Il réussit à fausser compagnie aux quatre gorilles embauchés comme gardes du corps pour le protéger. Le protéger de son ex-beau-frère boxeur, Dave Hilton. Mais aussi de lui-même.

Plusieurs mois plus tôt, en février 1999, Arturo a reçu un coup de fil de sa soeur Ana-Maria, mariée à Dave Hilton. Un coup de fil qui a l'effet d'un coup de poing. Ana-Maria vient d'apprendre que son mari agresse leurs deux adolescentes, Jeannie et Anne-Marie. Et elle téléphone maintenant à sa famille pour annoncer la nouvelle.

Le soir du coup de fil, Arturo était dans sa voiture avec l'un de ses copains de party, Ivano Scarpa. «Il était enragé. À l'extrême. Si je n'avais pas été là, il aurait commis un geste grave», se souvient Scarpa. Ils iront dans un bar où Scarpa aura besoin de plusieurs heures pour convaincre son ami de laisser la justice faire son travail. Des policiers de Montréal se chargeront ensuite discrètement de lui faire le même message.

Arturo a accepté de venir se battre à Montréal à l'automne 2000 à une condition: ne pas entendre prononcer le nom Hilton. Et ne jamais le croiser. Ni dans une activité promotionnelle. Ni à la pesée. Ni le soir du combat. Un défi de taille pour les gens d'InterBox. Car Dave Hilton se battait contre Stéphane Ouellette en sous-carte.

Les gardes du corps, ce n'était pas une idée d'Arturo. Son promoteur américain, Main Events, les lui avait imposés après que son ex-beau-frère eut déclaré qu'il réglerait le cas d'Arturo s'il le croisait dans la métropole. (Dave Hilton sera condamné en mai 2001 à purger une peine de sept ans de prison. À sa sortie de prison, un promoteur a voulu organiser un combat entre lui et Gatti. Ce dernier a alors déclaré ne pas vouloir faire gagner même 1$ à son ex-beau-frère.)

Retour au défilé dans la Petite Italie. À 20h, toujours sans nouvelles d'Arturo, la police fait rouvrir le boulevard Saint-Laurent. Une demi-heure plus tard, l'enfant prodigue se pointe. Il signe des autographes à la poignée de fans encore sur place. «Je vais dire oui à tout. Je ne sais pas dire non. Mais je ne suis pas fiable», s'excuse-t-il à Yvon Michel.

À la fin de la semaine, son premier combat professionnel dans sa ville natale sera décevant. Gatti (32-4-0; 27 K.-O.) affronte l'Américain Joe Hutchinson. Près de 17 000 personnes sont venues au Centre Molson pour voir le boxeur le plus explosif du moment. Mais il n'y aura pas les étincelles espérées. Les styles des deux boxeurs se marient mal.

Hutchinson, gaucher, ne fournit pas la moitié des efforts de Gatti. Dès le second round, les têtes des deux boxeurs se cognent. Arturo a les deux arcades profondément entaillées et la vue obstruée.

Au bout de 10 rounds, «Thunder» gagne par décision unanime. À l'exception du combat entre Roberto Duran et «Sugar» Ray Leonard en 1980 devant plus de 45 000 personnes au Stade, cette soirée de boxe reste, encore aujourd'hui, le plus gros événement de la boxe québécoise, selon M. Michel, qui dirige maintenant le Groupe Yvon Michel (GYM).

Ce succès n'impressionne pas les Américains. Malgré plusieurs tentatives de promoteurs québécois, Arturo «Thunder» Gatti ne reviendra pas combattre dans sa ville natale. Main Events et le réseau américain HBO, diffuseur de ses combats, trouvent qu'il n'y a pas assez d'argent à faire. Trop de taxes à payer.

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Mars 2001. MGM Grand, Las Vegas, Nevada. Arturo est dans sa loge, entouré de ses proches. Les mots de son entraîneur, Hector Roca, résonnent dans sa tête.

«C'est l'heure de la retraite.» Roca est convaincu que son boxeur n'a plus rien à donner. Il ne veut plus l'entraîner.

Ce soir-là, le phénix ne renaît pas de ses cendres. Devant 12 000 personnes, il subit une défaite sans équivoque contre Oscar «Golden Boy» De La Hoya.

C'était le combat retour du Californien d'origine mexicaine, qui a déjà détenu trois titres mondiaux. De La Hoya était plus puissant. Plus rapide. Meilleur danseur. Meilleur dans les combinaisons. Meilleur dans les échanges.

Au cinquième round, Roca a dû jeter l'éponge pour mettre fin au combat. «Sinon, Arturo n'aurait jamais abdiqué et il se serait fait tuer.» La défaite était prévisible. De La Hoya était donné favori à 30 contre 1. Mais on n'avait pas vu venir une telle raclée.

Le boxeur montréalais s'était préparé comme jamais pour ce combat. Son camp d'entraînement avait duré 14 semaines, plutôt que les 6 habituelles. Il avait réussi à faire la limite de poids (147 livres) plus vite que d'habitude. Et pourtant, il a perdu.

Largué par son entraîneur, Arturo s'apprête à partir vers l'hôpital pour un travail de suture quand le légendaire «Sugar» Ray Leonard fait son entrée.

Enfant, accompagné de son défunt père, Arturo avait assisté à son combat mémorable au Stade olympique.

Les deux hommes ne se connaissent pas personnellement. «Tu n'es pas fini. N'abandonne pas», lui lance cette idole d'enfance.

La suite des choses donnera raison à Leonard. Mais pour ce soir, disons qu'Arturo n'a pas tout perdu. Il a touché une bourse de 1,7 million, un record pour un boxeur québécois à l'époque.

LA RENAISSANCE

Fin 2001. Vero Beach, Floride. «Quand tu quittes le gym, préfères-tu aller jouer au golf ou aller te mettre de la glace dans la face?»

Le nouvel entraîneur d'Arturo Gatti, James «Buddy» McGirt, cherche à faire comprendre à son poulain l'importance de «boxer plus», de «se bagarrer moins» pour prolonger sa carrière.

«Le golf», répond le boxeur.

«OK, Thunder. Tes fans savent que tu peux te bagarrer. Montre-leur que tu sais boxer et ils t'aimeront encore plus. Va falloir que tu bouges plus ta tête. Que tu sois plus défensif», explique le robuste Noir.

Leurs chemins se sont croisés au moment où tous deux vivaient une période difficile. McGirt, ancien boxeur professionnel new-yorkais, a fait plusieurs millions dans sa carrière. Mais il en a aussi flambé beaucoup dans de rutilantes voitures et d'autres produits de luxe. En plus des pensions à payer pour ses nombreux enfants de mères différentes.

Puis il est tombé malade. Il se croyait atteint du sida, mais c'était finalement un problème de glande thyroïde. C'est ainsi que McGirt décide, en 2000, au début de la quarantaine, de quitter sa ville natale pour s'installer en Floride. Motivé à repartir à zéro.

Un an plus tard, McGirt entre dans le gymnase de Vero Beach à la recherche de jeunes boxeurs prometteurs à entraîner. Il trouvera «Thunder», un «vieux» boxeur de 29 ans que tout le monde croit fini depuis sa cuisante défaite contre Oscar De La Hoya.

Le boxeur lui demande tout bonnement s'il serait intéressé à l'entraîner. C'est là que McGirt lui parlera du golf.

Un lien de confiance s'est vite tissé entre les deux hommes. Ils deviendront la meilleure équipe de boxe de l'époque, complétée par le préparateur physique Teddy Cruz et le fidèle manager Pat Lynch.

Au gym, Arturo et son entraîneur ont un code. «Thunder» est d'un naturel méfiant. Quand un inconnu entre dans le gym, le boxeur n'a qu'à se pincer les lèvres pour que McGirt saisisse le message. «Coach» doit alors vérifier l'identité du visiteur. Cela peut être un espion du camp ennemi. Si c'est une fille, c'est sûrement une autre gold digger qui n'a d'yeux que pour ses millions.

À son premier combat flanqué de McGirt comme entraîneur, Arturo affronte l'Américain Terron Millett. HBO diffuse son combat en guise de cadeau d'adieu. Personne ne croit qu'il s'est remis de sa défaite contre De La Hoya. Et pourtant, sur le ring, il crée une surprise. Il «boxe plus, se bagarre moins». Et gagne.

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Juin 2003. Atlantic City, New Jersey. Au petit matin, «Thunder» et «L'Irlandais» sont assis côte à côte aux urgences de l'hôpital. Arturo a la main fracturée. Son adversaire, Micky Ward, alias «L'Irlandais», a plusieurs coupures.

Ils ont l'air de bons copains. Et pourtant, quelques heures plus tôt, ils s'entretuaient sur le ring. Devant 12 000 spectateurs massés au Boardwalk Hall d'Atlantic City, Arturo (140 livres) a mis fin à la trilogie brutale et dramatique qui marquera l'histoire de la boxe en remportant le troisième et ultime combat.

Trente rounds de sang et de survie. Ward a remporté le premier combat. Gatti, les deux suivants. Chaque fois, ça s'est terminé à l'hôpital.

Au départ, les deux boxeurs ne devaient s'affronter qu'une fois. Mais les fans de boxe et HBO en ont redemandé. Moins de 24 heures après le premier combat, le président de HBO Sports, Ross Greenburg, a téléphoné à Kathy Duva, de Main Events, le promoteur d'Arturo. «Je lui ai demandé: quand est-ce qu'on recommence? Et même après le troisième combat, j'aurais voulu le refaire», se souvient M. Greenburg.

Les deux boxeurs n'ont pas seulement l'air de bons copains. Ils le sont devenus. Ce soir-là, c'est le chauffeur de la limousine de Gatti qui reconduira Ward à l'hôtel.

Sept mois plus tard, en janvier 2004, Ward sera aux côtés d'Arturo pour son combat contre l'Italien Gianluca Branco. Arturo, 31 ans, est en quête du titre vacant des superlégers.

«L'Irlandais», nouvellement retraité, entrera avec lui dans l'arène. Au jeu de l'intimidation, Gatti partira ainsi avec une longueur d'avance. Au bout de 12 rounds, le boxeur montréalais est devenu champion du monde pour la seconde fois. Par décision unanime, mais non sans souffrir. Il a disputé la moitié du combat avec une main droite très amochée.

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La renaissance d'Arturo Gatti a coïncidé avec celle du Boardwalk Hall. «Arturo Gatti a été bon pour Atlantic City et Atlantic City a été bonne pour Arturo», résume le maire de la ville, Lorenzo T. Langford. Le Boardwalk Hall est devenu sa seconde maison, «Gatti's home», comme on dit dans la capitale du jeu de la côte est des États-Unis.

«Arturo Gatti a permis à la boxe de survivre ici. On avait pratiquement perdu ce marché au profit de Las Vegas», explique l'homme d'affaires Ken Condon, consultant pour Harrah's Entertainment (groupe américain d'hôtels et de casinos).

Quelques mois après sa réouverture au terme d'une longue fermeture de trois ans pour des rénovations majeures, l'établissement, ancien hôte du célèbre concours Miss America, a accueilli la trilogie Gatti-Ward.

«Aucun autre boxeur n'a eu la capacité d'attirer les foules comme Arturo ici. Ses combats n'étaient pas seulement des combats. C'était des événements qui duraient tout le week-end», ajoute M. Condon. Les neuf derniers combats de Gatti auront lieu dans sa seconde maison. La seule vente de billets pour ces combats rapportera près de 20 millions US.

Arturo attire autant les jeunes couples du New Jersey ouvrier que les vedettes du New York glamour (acteurs du réseau HBO, P. Diddy, Jay-Z, Beyoncé, les joueurs de football des Jets et des Giants). «Entre nous, on avait une blague: le soir d'un combat d'Arturo à Atlantic City, on disait que les bars de danseuses de New York roulaient au ralenti, raconte en riant Carl Moretti, promoteur de boxe. Le manager d'Arturo distribuait des billets aux danseuses. Il devait faire attention de ne pas mettre une telle à côté d'une telle autre. Sinon, le combat le plus intéressant se serait déroulé dans les gradins.»

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Juin 2005. Atlantic City. Arturo sort du Boardwalk Hall, entouré de ses amis et de quelques policiers. Il ne veut pas rentrer en limousine à son hôtel, le Caesars. Il demande au chauffeur de reconduire sa mère, Ida. Il a besoin de marcher pour digérer la cuisante défaite qu'il vient de subir contre l'Américain Floyd «Pretty Boy» Mayweather Jr.

Rien ne s'est passé comme prévu. Ç'a été un combat à sens unique. Après avoir vu «Thunder» encaisser coup sur coup pendant six rounds, le coach McGirt a mis fin au massacre.

Ce soir, Arturo n'avait rien du boxeur qui, quelques mois plus tôt, a défendu deux fois avec succès son titre de champion du monde. «A walk on the Boardwalk», comme diraient les Américains, tellement il avait dominé ses adversaires. D'abord le Montréalais d'adoption Leonard Dorin (juillet 2004), puis l'Américain Jesse James Leija (janvier 2005).

Non, le combat contre Mayweather, commercialisé comme «Thunder&Lightning -The Storm is Coming», n'avait rien d'une marche sur le Boardwalk. C'est peut-être pour cela qu'Arturo a besoin de prendre l'air.

Même s'il était perçu comme le négligé, le boxeur montréalais a toujours cru en ses chances. Au moment de l'annonce du combat, en mars, Mayweather l'avait traité de «bum» et de «sac de sable». Gatti était hors de lui. Il a conservé cette hargne au camp d'entraînement en Floride, où il avait tapissé sa chambre de photos de son adversaire.

Mais au camp, à une semaine du combat, il ne faisait toujours pas le poids. «On a fait le poids de justesse, mais après la pesée, il n'a pas été capable de reprendre ses forces et de s'hydrater», raconte son préparateur physique, Teddy Cruz. Son estomac s'est noué devant le traditionnel buffet d'après-pesée (pâtes, poulet, cheeseburgers, crêpes aux bleuets, tarte au citron). Avec le résultat que l'on connaît.

En marchant sur le Boardwalk, très amoché, Gatti n'en croit pas ses oreilles. Des gens qui ont assisté au combat sont restés à flâner dans l'espoir de le voir. Ils se mettent à le suivre et à lui crier: «On t'aime, champion!» «Ce n'est que partie remise!» «Vive Gatti!»

Le boxeur montréalais leur sourit, les remercie et... s'excuse de les avoir déçus.

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Automne 2006. Weehawken, près de New York. Arturo revient de longues vacances au Brésil et en Argentine. Plus tôt cette année, en juillet, il a échoué dans sa tentative de remporter un troisième titre de champion du monde - cette fois dans la catégorie des poids mi-moyens (147 livres) - contre l'Argentin Carlos Manuel Baldomir.

Après cet échec, son entraîneur, James «Buddy» McGirt, lui a suggéré la retraite. Même scénario qu'avec Hector Roca cinq ans plus tôt. Et comme à l'époque, Arturo a refusé. Ils ont décidé de se séparer.

C'est l'année des séparations pour le boxeur. Sa copine du moment, Erika Rivera, ingénieure dans l'armée américaine, l'a aussi quitté. Le couple venait d'avoir une fille, Sofia.

À son retour de vacances, Arturo s'empresse d'aller dans l'un de ses bars de danseuses préférés: The Squeeze Lounge, à Weehawken. Quand il est en ville, il y sort au moins une fois par semaine. Les filles vêtues de simples sous-vêtements sexy y dansent autour de poteaux sur une scène placée au milieu du bar ou dans une douche vitrée installée en hauteur.

C'est ici que travaille depuis peu comme danseuse Amanda Rodrigues, sa future femme. La Brésilienne a à peine 20 ans. Un teint basané. Des formes avantageuses. Elle vient tout juste de débarquer aux États-Unis.

«Arturo cherchait une femme jeune qui ne l'aimerait pas parce qu'il était Arturo Gatti, le boxeur célèbre. Amanda répondait à ces deux critères. Elle ne le connaissait pas. Elle arrivait du Brésil», raconte Teddy Cruz, le préparateur physique et ami du boxeur.

Aux yeux des amis d'Arturo, Amanda est «juste une autre belle jeune fille wild». «On en a tellement vu des filles comme elle dans sa vie», ajoute Teddy Cruz.

La jeune Brésilienne a travaillé au Squeeze Lounge en 2006-2007, confirme le gérant du bar, Michael Prosperi. Son nom de scène était Jessica. Elle a quitté son travail quand sa relation avec Arturo est devenue plus sérieuse. Le manager d'Arturo, des employés du bar et plusieurs amis du boxeur corroborent cette version. Une photo d'elle au travail a même été fournie à La Presse. Toutefois, Mme Rodrigues nie encore aujourd'hui avoir été danseuse.

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Été 2007. Vero Beach, Floride. Le boxeur montréalais s'entraîne en vue de son affrontement contre le Mexicain Alfonso Gomez, un boxeur beaucoup plus jeune que lui. Il n'est pas de la trempe d'Arturo. Tout le monde le dit. C'est le genre d'adversaire qu'il lui faut pour se remettre de sa défaite contre Baldomir.

Au camp, Arturo s'amuse comme un enfant. «Un jour, il est revenu de la plage avec un crabe et l'a mis sur mon oreiller. Pour me venger, j'ai mis des grenouilles dans ses chaussures de sport», raconte Teddy Cruz.

Arturo est entouré de plusieurs amis, dont l'ancien receveur des Jets de New York Wayne Chrebet. Son nouvel entraîneur n'est nul autre que Micky Ward. Que ce soit lors des séances de jogging sur la plage ou à la piscine, les deux anciens adversaires ne peuvent s'empêcher de faire la course. Ils s'affrontent comme à l'époque de la trilogie.

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Juillet 2007. Boardwalk Hall, Atlantic City. Max Kellerman, analyste de boxe à HBO, entre dans la loge de «Thunder» - une loge modeste avec du tapis commercial et un sofa bon marché qui a été baptisée de façon permanente du nom du boxeur. Arturo est en train de se faire suturer la lèvre supérieure. Ce soir, les médias s'intéressent plus au perdant qu'au gagnant, le jeune Alfonso Gomez.

«Gomez n'était pas un artiste du K.O. comme Oscar De la Hoya et pourtant, durant le combat, Arturo nous disait: «Tous ses coups me font mal.» C'était fini, il le savait», décrit Teddy Cruz. Ça s'est terminé au septième round. Gomez a envoyé Gatti au tapis.

Les cheveux en bataille, le visage tuméfié, c'est un «Thunder» à l'air exténué qui se présente devant le journaliste américain. «C'est devenu trop dur d'atteindre 140 livres et c'est trop difficile de combattre à 147. Je ne peux plus prendre ce genre de raclée», articule-t-il péniblement.

Le boxeur défait (40-9-0, avec 31 K.O.) lance alors un «Hasta la vista, baby», en esquissant un douloureux sourire à la caméra. Son équipe et ses amis, qui se tiennent non loin, se mettent à l'applaudir. Arturo remercie ensuite ses fans. Son manager, Pat Lynch, lui ébouriffe amicalement les cheveux, tentant de cacher sa peine. Son entraîneur, Micky Ward, le prend dans ses bras. Et Amanda Rodrigues, les cheveux teints en blond, vêtue d'une robe blanche au décolleté plongeant, ne cesse de l'embrasser, tout sourire. La nouvelle vie d'Arturo Gatti commence.

LA RETRAITE

Automne 2008. Montréal, Québec. Les médias parlent d'un retour possible de «Thunder». Un an à peine après sa retraite. Le promoteur de boxe du groupe GYM, Yvon Michel, s'empresse de téléphoner au jeune retraité pour vérifier le sérieux des rumeurs.

Arturo - qui vit maintenant à Montréal - débarque dans son bureau du boulevard Saint-Laurent le lendemain. «Je pèse présentement 175 livres. Faudrait que je baisse à 147. Juste penser à faire un régime, le coeur me lève», explique-t-il au promoteur, bien affalé dans un fauteuil en cuir.

Se battre sur un ring devant une foule scandant «Gatti, Gatti, Gatti!» lui manque. Mais pas les entraînements. Il ne se sent tellement plus guerrier qu'il va se rendre dans une clinique de chirurgie esthétique à New York pour faire effacer les lettres «WARRIOR» tatouées sur son ventre.

Et puis, ses affaires vont bien. Depuis trois ans, avec son ami d'enfance, Tony Rizzo, Arturo a investi 22 millions de dollars dans le projet immobilier Château Jarry, des condos de luxe dans Saint-Léonard.

Mais son plus gros projet, c'est son fils Arturo Jr, né en septembre. Le bébé ressemble comme deux gouttes d'eau à son père. La relation est toutefois tumultueuse avec la mère de l'enfant, Amanda Rodrigues. Le couple s'est marié un an plus tôt à Las Vegas. Sans inviter personne.

«Ils ont fait ça en cachette parce que personne ne voulait qu'ils se marient», raconte Donny Jerie, mécanicien automobile et ami du boxeur depuis 1991 au New Jersey.

Peu de temps après le mariage, la femme du boxeur lui impose une cure chez les Alcooliques anonymes à West Palm Beach, en Floride. Il ne termine pas sa thérapie et appelle sa soeur, Ana-Maria, pour qu'elle vienne le chercher.

La famille et les amis d'Arturo ne portent pas la jeune Brésilienne dans leur coeur. Ils disent tous - sans exception - avoir été témoins d'une scène de jalousie impliquant la jeune femme.

«Arturo ne sortait pas avec le bon type de femmes. Mais ses amis proches ne pouvaient jamais lui dire quoi que ce soit concernant ses amours. Il était le même dans sa vie affective et sur le ring: intense», raconte une amie du boxeur à Atlantic City, Carrie Kauffman.

«Dans chacune des relations d'Arturo, il y avait des engueulades. Il finissait par nous dire que la fille était folle. Avec Amanda, ce n'était pas différent. Mais je suis convaincu qu'il l'aurait tuée avant de se suicider», affirme pour sa part Carl Moretti, ex-promoteur du boxeur.

Christian Santos, ami d'enfance d'Arturo, se souvient d'un souper avec leur conjointe respective qui a dégénéré dans un restaurant portugais de la métropole. Le repas allait bon train quand Amanda s'est mise à parler de la fille de 3 ans d'Arturo, Sofia, née d'une union précédente. Elle aurait faussement traité la fillette de «trisomique». «Arturo s'est fâché. J'ai dû partir avec lui pour le calmer. Ils s'engueulaient vraiment tout le temps», indique-t-il.

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Hiver 2009. Montréal, Québec. Rien ne va plus dans le couple Gatti-Rodrigues. L'ex-boxeur quitte le penthouse de Saint-Léonard dans lequel il vit avec sa femme et son fils pour emménager dans le sous-sol chez sa mère à Rivière-des-Prairies.

La jeune femme porte même plainte à la police de Montréal contre son conjoint pour voie de fait simple. Arturo l'aurait bousculée. Il n'a plus le droit de l'approcher. Il ira consulter une avocate pour entamer des procédures de divorce.

Or quand l'été arrive, le couple Gatti-Rodrigues semble s'être réconcilié. Arturo comparaît au palais de justice de Montréal en juin et obtient un assouplissement de ses conditions de mise en liberté. Il peut désormais entrer en contact avec sa femme.

«J'aime ma femme. Je passerai ma vie avec elle», confie-t-il alors aux journalistes qui couvrent sa comparution. Il leur annonce même son projet de partir en second voyage de noces en Europe.

Le 17 juin, sans en parler ni à sa famille ni à ses amis, Arturo rencontre un notaire à Montréal pour modifier son testament. Il fait de sa femme son unique héritière, alors que dans la version précédente, la mère de l'ex-boxeur, Ida, et sa fille, Sofia, se séparaient ses millions.

Peu après, le couple s'envole vers Amsterdam, puis Paris pour une dizaine de jours. En France, Arturo lui offre une seconde bague de mariage. De Paris, Amanda prend un avion pour le Brésil en vue d'assister à la remise de diplôme de sa soeur, alors qu'Arturo revient à Montréal. «Il voulait aménager la chambre de son fils dans le condo qu'il venait d'acheter au-dessus du métro De Castelnau avant de la rejoindre au Brésil», raconte son ami, Christian Santos. Cet appartement devait lui servir de refuge en cas de futures engueulades avec Amanda.

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11 juillet 2009. Sunny Island, Floride. Ana-Maria Gatti, la soeur d'Arturo et ex-femme de Dave Hilton, se prépare pour son second mariage qui sera célébré ce soir. Son petit frère lui avait fait miroiter la possibilité de sa présence à son mariage. Mais finalement, il n'y sera pas.

Arturo a décidé de rejoindre sa femme et son bébé dans un appartement loué dans la station balnéaire de Porto de Galinhas, dans le nord-est du Brésil.

À 15h35, le cellulaire d'Ana-Maria sonne.

«Ana?»

Oui. Amanda?

Quelque chose de grave est arrivé.

Quoi, Amanda?

Arturo est mort.

Comment?

Je ne sais pas.

Qu'est-ce que tu veux dire, tu ne sais pas? Je veux mon frère.

C'est mon mari.»

Ana-Maria n'oubliera jamais le coup de téléphone de sa belle-soeur. C'est la première chez les Gatti à recevoir la terrible nouvelle. Ida, la mère du clan, est alors aux côtés de sa fille de 46 ans. Elle lui agrippe le bras pour ne pas tomber.

«On a pensé annuler la cérémonie. Mais si mon frère avait reçu une nouvelle semblable le jour d'un de ses combats, il serait monté sur le ring quand même, raconte Ana-Maria. Mon mariage s'est transformé en funérailles.»

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12 juillet. État de Pernambuco, Brésil. Amanda Rodrigues est arrêtée et envoyée dans une prison pour femmes à Recife. La police brésilienne la soupçonne d'avoir étranglé Arturo Gatti avec la courroie d'un sac à main.

Le New York Daily News titre à sa une du 13 juillet: «K.O. fatal. La femme d'Arturo Gatti - et danseuse érotique - accusée d'avoir étranglé l'ex-champion du monde durant son sommeil».

La veuve est toujours détenue lorsque les funérailles du boxeur ont lieu à Montréal. Au coeur de la Petite Italie, l'église Notre-Dame-de-la-Défense est pleine à craquer. Les proches du boxeur au New Jersey se sont déplacés: Pat Lynch, James «Buddy» McGirt, Matt Howard, Micky Ward, Carrie Kauffman, Micky «Red», Donny Jerie, entre autres. Des membres de la famille de Vito Rizzuto, ancien chef de la mafia montréalaise, y ont aussi été observés.

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30 juillet. Virage à 180 degrés: la police brésilienne libère la veuve et conclut au suicide. L'enquête policière révèle que Gatti s'est pendu peu après minuit, le 11 juillet. Il est resté pendu durant environ trois heures avant que son corps ne tombe au sol.

Amanda Rodrigues dormait à l'étage avec son bébé. Elle est descendue vers 6h pour chercher un verre de lait pour son fils. Elle a vu son mari étendu sur le sol, mais a cru qu'il s'était endormi ivre. Et puis elle était encore fâchée contre lui, selon son témoignage. Le couple s'était violemment querellé la veille en sortant d'un restaurant. Gatti aurait alors projeté sa femme au sol.

La jeune Brésilienne est redescendue, vers 9h, pour découvrir que son mari était mort. Elle a alors appelé la police.

Cette volte-face des autorités brésiliennes a soulevé l'ire des proches de l'ancien boxeur. Pour prouver que Gatti ne s'est pas suicidé, ils ont embauché un médecin légiste américain et vedette de la chaîne HBO, Michael Baden. Chose exceptionnelle, le Dr Baden, qui n'a pas le droit de pratiquer au Canada, a eu l'autorisation d'assister à la seconde autopsie ordonnée par le Bureau du coroner au Québec. Le rapport du coroner n'est pas attendu avant plusieurs mois. Le clan Gatti s'est aussi engagé dans une bataille juridique pour faire déshériter Mme Rodrigues.

Le guerrier Arturo Gatti est tombé au combat. Mais bien loin du ring, une famille éplorée et une jeune veuve se sont déclaré une guerre qui s'annonce plus longue que 12 rounds.