Le milieu juridique a été profondément secoué par les révélations de l'ex-ministre de la Justice, Marc Bellemare, qui affirme avoir dû nommer des juges sous la pression d'un influent solliciteur de fonds libéral.

«Quand j'ai entendu ça hier soir (lundi), j'ai été très, très, très préoccupé par l'image que ceci pouvait dégager auprès du public», a déclaré à La Presse Canadienne le bâtonnier du Québec, Me Pierre Chagnon.

«J'ai subi un grand inconfort parce que, outre les allégations de Me Bellemare, ce n'est pas l'image que nous ici, au Barreau, nous avons de notre processus de nomination et de notre système judiciaire», a-t-il poursuivi.

Me Chagnon reconnaît qu'il y a toujours des soupçons d'influence politique dans le processus de nomination mais il affirme que ces soupçons ne sont plus justifiés de nos jours. «Voilà peut-être 30 ans, 40 ans, on entendait toujours la même légende urbaine: si tu connais tel député, tel ministre, tu vas être nommé (juge). Depuis 25 ans, depuis que Marc-André Bédard a institué le système actuel de nomination, ce processus est beaucoup plus rigoureux aujourd'hui.»

N'empêche, fait remarquer Me Pierre Trudel, professeur titulaire à la faculté de droit de l'Université de Montréal, que cette présumée rigueur vient d'être sérieusement mise en doute non seulement à cause de la nature des propos de Me Bellemare mais aussi de l'identité de celui qui les a tenus.

«Tant que ce n'est que de la rumeur, on peut toujours dire que ce n'est pas sérieux, a expliqué M. Trudel. Mais à partir du moment où ça vient de quelqu'un qui a été en autorité, c'est clair que cela confirme ce que certains pouvaient penser ou craindre et ce n'est pas rassurant.»

Pourtant, selon lui, le Québec n'a pas à rougir de sa magistrature. «Quand on se compare à d'autres juridictions, notre magistrature en général est de très bonne qualité. Cela dit, les propos de Me Bellemare sont certainement de nature à soulever des doutes importants sur l'indépendance de la magistrature et sur la crédibilité du processus de nomination.»

Et le doute, rappelle-t-il, est le pire ennemi de la crédibilité. «Dans ces domaines, les apparences jouent un rôle extrêmement important, indépendamment des faits vérifiables. La crédibilité ça tient à la fois à l'apparence et aux faits vérifiables. Ici, il n'y a pas de doute que ça peut avoir un effet extrêmement important sur la crédibilité.»

Me Trudel ajoute que ce doute peut avoir pour effet de miner la valeur des décisions des tribunaux dans l'esprit du grand public.

«C'est triste parce qu'on va toujours se demander si les gens qui ont été nommés l'ont été en raison de leurs compétences ou en raison de leurs accointances, finalement. Forcément, à partir du moment où on pense qu'un magistrat n'est pas compétent ou a été nommé là autrement qu'en raison de ses compétences, c'est sûr que cela affecte toute l'autorité de la fonction judiciaire auprès des citoyens», a indiqué Me Trudel.

C'est sans doute dans cette perspective que le bâtonnier Pierre Chagnon accueille très favorablement la tenue d'une commission d'enquête sur le processus de nomination des juges. «Je suis d'accord avec une commission d'enquête parce que ce sera un processus transparent et on verra à quel endroit dans la chaîne il peut y avoir des ratés ou qu'on pense qu'il y a des ratés.»

Pour le professeur Trudel, toutefois, il est clair que le maillon faible de cette chaîne, malgré les réformes apportées au processus, se situe à la dernière étape de la sélection, celle où le politique prend la décision finale. «Au final, c'est le conseil des ministres qui décide.

ECa, c'est la zone d'obscurité, a-t-il soutenu. Là, justement, malheureusement, on vient nous dire qu'il peut y avoir des influences indues qui interviennent à ce niveau.»

Pour sa part, Me Chagnon reconnaît que son organisme aura une tâche colossale devant lui pour rebâtir la crédibilité de l'appareil judiciaire.

«Le Barreau doit tenter d'aller chercher la confiance du public dans notre système judiciaire. On doit implanter une meilleure confiance du public en ce qui concerne la compétence des juges. Nous avons un travail de communication à faire pour bien faire connaître le système et son fonctionnement. Quand les gens ne connaissent pas le système, c'est facile de le critiquer», a conclu le bâtonnier du Québec.