Assiégé, le premier ministre Charest a jeté du lest, mardi. Pour calmer la tempête qu'ont déclenchée les révélations de son ancien ministre de la Justice Marc Bellemare, Québec va lancer une enquête publique, mais son mandat sera limité au processus de nomination des juges.

Selon Jean Charest, «il faut dissiper tous les doutes sur l'intégrité du système judiciaire». Du même souffle, le premier ministre a fait parvenir une mise en demeure à Marc Bellemare, mardi soir, dans laquelle il le somme de se rétracter, avant 16h mercredi, de propos «mensongers, malveillants et diffamatoires». Déjà, l'ancien ministre avait fait savoir qu'il n'avait pas l'intention de reculer.

La commission d'enquête siégera publiquement, et son mandat sera établi aujourd'hui à la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres. Mais on est loin de la vaste commission d'enquête sur l'industrie de la construction que réclament depuis des mois le Parti québécois et l'Action démocratique du Québec.

Selon la chef péquiste, Pauline Marois, le premier ministre Charest est «en parfait conflit d'intérêts» quand il se mêle de définir le mandat de cette commission. L'ancien ministre Bellemare l'a carrément incriminé en déclarant que le premier ministre était au courant de l'existence du financement illicite au Parti libéral du Québec, ainsi que des interventions des argentiers du parti dans le choix des magistrats.

M. Charest a soutenu que les juges sont nommés sans égard à leur conviction politique. «On nomme des gens qui sont compétents, on a nommé des gens d'allégeance libérale, péquiste et même adéquiste dans certains cas. On a nommé des gens qui n'ont pas d'allégeance politique, on a un critère, celui de la compétence», a-t-il soutenu.

Pauline Marois estime que le premier ministre ne s'en tirera pas avec une commission au mandat aussi étroit.

«Il y a bris de confiance, la population est ébranlée, nos institutions sont attaquées», a lancé Mme Marois. Selon elle, M. Charest devrait confier à des gens «au-dessus de tout soupçon» la responsabilité de rédiger le mandat d'une commission d'enquête. Des personnes comme l'ex-juge John Gomery ou le vérificateur général du Québec, Renaud Lachance, auraient l'indépendance nécessaire.

Mme Marois crois qu'il est étonnant que M. Charest ait estimé les révélations de Marc Bellemare sur les juges suffisamment sérieuses pour déclencher une enquête sur-le-champ alors qu'il passe sous silence des déclarations tout aussi graves sur le financement du Parti libéral du Québec. Radio-Canada est revenue à la charge, mardi, en indiquant qu'une source bien connue dans le monde du travail, sous le couvert de l'anonymat, a soutenu avoir vu un bailleur de fonds libéral confier une volumineuse enveloppe d'argent liquide à un permanent du PLQ.

Selon Bernard Drainville, du PQ, les argentiers libéraux Franco Fava et Marc Bibeau sont tous deux liés au monde de la construction ; c'est donc une enquête sur l'ensemble de cette industrie et ses liens avec le financement du PLQ qui s'impose. Selon le chef de l'ADQ, Gérard Deltell, «le coeur du problème, c'est l'influence qu'ont les personnes qui recueillent des fonds, les bagmen du Parti libéral, sur le pouvoir exécutif, législatif et judiciaire. La réputation du Québec à l'étranger est en jeu actuellement!»

Réputation ternie

M. Charest soutient avoir été personnellement heurté par les déclarations de son ancien ministre, qui l'accuse d'avoir cautionné des opérations de financement illégales. «Je ne peux accepter que ma réputation soit ternie, entachée de cette façon, a-t-il lancé. La liberté d'expression suppose aussi des responsabilités.»

En point de presse, M. Charest a expliqué qu'il ne croyait pas utile que Me Bellemare soit convoqué par une commission parlementaire pour s'expliquer devant les députés. L'exercice deviendrait vite trop partisan, a-t-il souligné, même si cette commission lui permettrait de contre-interroger publiquement son détracteur. Même refus pour une commission d'enquête sur le financement du PLQ ou l'industrie de la construction. Le DGE a convoqué M. Bellemare, les questions de financement relèvent de ce mandataire impartial, choisi par les deux tiers des députés, a insisté M. Charest. Quant à une commission sur la construction, le gouvernement a déjà fait plusieurs gestes pour régulariser la situation dans l'industrie, a-t-il poursuivi.

Selon lui, il n'y a pas eu de pression pour nommer qui que ce soit magistrat, et il ne se souvient d'aucune controverse autour des nominations de juges durant le bref passage de M. Bellemare à la Justice, d'avril 2003 à avril 2004.

«M. Bellemare affirme ces choses. J'ai hâte de l'entendre parce que la réponse est non... Ces informations sont fausses ! Demandez-lui d'où viennent ces informations... En janvier 2004, M. Bellemare avait affirmé qu'il n'y avait pas de considérations partisanes dans la nomination des juges», a rappelé M. Charest, lisant les déclarations de l'ex-ministre.