Thomas, 17 ans, n'est pas d'humeur à rire ce matin. Quand le litre de lait s'est renversé sur son jeans au petit-déjeuner, il a fermé les yeux. Il a pris une grande respiration. Puis, il a bondi de sa chaise et lancé le pot de margarine sur le mur. «J'ai vraiment envie de partir, j'en ai assez de toutes vos règles.» Sept jours après son arrivée, la thérapie de groupe commence à lui peser.

Pour un incident aussi bête, cet ancien premier de classe, devenu alcoolique et cocaïnomane, aurait tout aussi bien pu renverser les tables ou lancer des chaises. «Je me suis contrôlé.» Il a évité l'expulsion de justesse. Ici, c'est tolérance zéro pour la violence. L'admission se fait sur une base volontaire. Les adolescents, une douzaine au total, consentent à passer 8 à 10 semaines enfermés dans une aile de l'Hôpital Rivière-des-Prairies complètement rénovée.«Ce n'est pas une prison. Les portes ne sont jamais verrouillées», affirme le coordonnateur Gaëtan Brière. En réalité, la moitié sont ici sur ordre de la cour, demande des parents ou référé par le centre jeunesse. Un passage obligé avant un retour à la maison.

L'arrivée est à tout coup pénible. «On est averti deux jours avant d'entrer. Alors, on se pète la face d'aplomb, ça passe mieux», indique Thomas. Certains prévoient le coup, racontent les intervenants, et cachent une «dose de secours» dans leurs effets personnels, dissimulée à l'intérieur d'un savon ou dans un applicateur de tampon hygiénique, l'emballage papier soigneusement recollé.

Le retour de Timothé

Timothé, 17 ans, s'agite sur sa chaise. Assis dans une petite pièce, il tapote le bureau devant lui. «Je suis stressé. J'ai tellement chaud. Est-ce qu'il fait chaud?» Arrivé il y a quelques minutes, en début d'après-midi, il sait parfaitement à quoi s'attendre; il en est à sa troisième thérapie. «Cette fois, je suis décidé à aller jusqu'au bout.»

C'est un grand consommateur de cocaïne et de freebase. Chaque jour, il prend aussi en moyenne cinq bières, du pot et deux pilules de speed. Il fume parfois du crack. Pour payer sa consommation, il a commis des vols par effraction dans les voitures et vendu de la drogue.

«Qu'est-ce qui te ramène ici?» demande d'une voix douce Mélanie Robichaud, responsable des admissions. Ses intoxications ont peu à peu mené à des psychoses, raconte-t-il. «Il faut que ça arrête, je n'ai plus aucun break dans ma tête. J'ai de la misère à me regarder dans le miroir, je capote. Je fais de la paranoïa. Je suis allé à l'urgence l'autre soir, j'étais sûr d'être fou. J'ai atteint le bas-fond.»

Hier soir, Timothé a consommé 3,5 grammes de pot. «Pas de cocaïne depuis une semaine», dit-il fièrement. «Tu vas surtout sentir le manque dans quelques jours. Ça ne sera pas facile», lui rappelle Mélanie. Le blondinet baisse la tête. «J'ai peur. S'il vous plaît, il ne faut pas me laisser partir avant la fin.» Il frotte le pendentif en or à son cou. La prière de la sérénité des Alcooliques anonymes y est gravée. «Un cadeau de ma soeur.»

Son père entre dans la salle et lui fait une rapide accolade. «On a eu le temps de se dire au revoir avant», souligne l'homme. Ils pourront se parler dans deux jours, lors de l'appel de bienvenue. Les pensionnaires ont droit à un téléphone familial par semaine. Dix minutes bien comptées.

Timothé partagera sa chambre avec Thomas. «On fouille d'abord les effets personnels», indique Mélanie, en plongeant sa main dans les poches d'un manteau de cuir. Elle trouve deux petits sachets de plastique vides. «Merde! J'aurais dû faire le ménage avant», lance l'adolescent, visiblement gêné.

Dans sa valise, seul un t-shirt du groupe Nirvana lui est confisqué. «On ne veut rien qui rappelle la consommation», précise l'intervenante. Ses somnifères seront placés dans une armoire sous clé, dans le couloir. Même chose pour ses rasoirs et son coupe-ongles. Pour éviter l'automutilation.

Sans accolades, ni poignées de main

Le groupe, qui a passé la matinée en classe, accueille Timothé chaleureusement. Sans accolades, ni poignées de main. Tout contact est interdit. «C'est ce que je trouve le plus difficile ici», confie Joey, une grande sportive de 17 ans. Elle est au centre depuis trois semaines. «J'aurais tellement besoin de me faire frotter le dos quand ça ne va pas.»

Timothé aussi, semble-t-il. Au souper, il touche à peine à son assiette. Au menu: brochettes de porc, pommes de terre bouillies et purée de carottes. De la bouffe d'hôpital, ni bonne ni mauvaise. Pour certains, c'est un festin. «Ça ne bat pas les côtelettes de porc et les croquettes de poulet hier. On a tout dévoré, c'était tellement bon», raconte Dannick, en se tapant l'estomac. «Ça rentre pas», répond Timothé, sans lever les yeux de son assiette. Mathieu, 16 ans, le rassure: «On est tous passés par là. Tu vas voir, ça va aller mieux demain.»

Timide et fragile, Benjamin, 15 ans, acquiesce discrètement. Il est arrivé il y a 24 heures, complètement démoli. «J'ai la tête toute mélangée, j'ai consommé avant d'entrer, confiait-il hier à Jennifer, son intervenante. Je n'ai plus aucun intérêt. J'aimerais ça qu'on me dise que je suis bon dans quelque chose, que j'ai des qualités.» Aujourd'hui, ça va bien, assure-t-il. Mais jusqu'à quand?

La sensation de manque survient à tout moment. Surtout la nuit. «Quand ils sont en sevrage, les jeunes ont parfois des crampes musculaires, des sueurs, des nausées ou des maux de tête. Ils souffrent d'insomnie», indique François Boisvert, surveillant de nuit. Plus souvent qu'autrement, ils ont besoin d'une oreille attentive. «Je leur fais une tisane et je les écoute.»

Les incidents sont rares, mais spectaculaires. «Un gars a déjà démoli sa chambre au complet, un autre a essayé de fuguer sans le sou. Une fille s'est ouvert le poignet dans les toilettes», raconte-t-il, une fois les jeunes couchés. Il vient de faire sa tournée des six chambres, lampe de poche en main. Installé dans le couloir, derrière un petit bureau, il sera à l'affût du moindre bruit jusqu'au lever des troupes à 6h25.

Pour Timothé, la tête remplie de pensées et le ventre vide, la nuit est longue. «Je n'ai pas dormi. J'ai tourné d'un bord, pis de l'autre», confie-t-il au petit-déjeuner, en se préparant des toasts au beurre d'arachide. «Y'a pas de margarine?»

Note: Certains prénoms ont été modifiés pour préserver l'anonymat.