«Le terrible dilemme se résume ainsi, dit le Dr Jean-François Chicoine: soit on risque de favoriser l'adoption d'un enfant qui a été acheté, soit on s'y refuse, quitte à ce que des enfants croupissent des années dans des orphelinats ou meurent avant d'être adoptés.» Pour le Dr Chicoine, pas question de risquer de près ou de loin de tremper dans le trafic d'enfants. Idem pour le Secrétariat à l'adoption internationale, qui estime qu'il faut plutôt «aider Haïti à repartir sur des bonnes bases».

Lorsque j'ai lu ces propos, j'étais assise à la table du déjeuner avec mes cinq enfants. De ces cinq enfants, trois ont été adoptés en Haïti à l'âge de 5 ans, 17 mois et 3 ans. Un autre est d'origine africaine et a été accueilli dans notre famille en décembre dernier à l'âge de 20 ans, car il était seul au monde. Je lis le reportage et mon regard se pose sur mes enfants. Que serait-il arrivé avec mes trois fils et ma petite fille si nous n'avions pas pris «le risque»! Ils auraient croupi encore trop longtemps dans les orphelinats, ils auraient été abusés, ils auraient été affamés, et avec un peu de chance, ils auraient peut-être été emportés par le choléra avant d'être pris sous l'emprise d'un réseau de prostitution ou de Restavec.

Tenir de tels propos est odieux, voire immoral. Je suis tannée d'entendre les grands spécialistes nous dire qu'un enfant ne devrait jamais être séparé de ses origines. Est-ce que vous nous prenez pour des idiots, nous, parents adoptants? Croyez-vous vraiment que nous ne sommes pas conscients de tout cela? Mais entre ce qui est théoriquement idéal pour un enfant et la réalité, il y a un monde de différences.

Personne ne pourra me convaincre que mes enfants auraient été mieux en Haïti. Personne ne pourra me faire dire que mes enfants ne sont pas bien ici, qu'ils ont un manque indéfinissable dû à l'abandon. Personne ne pourra venir me dire que tous les efforts que nous avons déployés au cours des 10 dernières années, mon conjoint et moi, ainsi que toute ma famille, pour encadrer, éduquer et aimer nos enfants n'ont pas été bénéfiques pour eux.

Mes enfants sont beaux, ils ont les yeux brillants, remplis de rêves. Ils sont en santé physiquement et psychologiquement, et même si cela n'avait pas été le cas, nous les aurions acceptés et aimés!

Aucun enfant n'est à l'abri d'une maladie mentale ou physique, qu'il soit adopté ou non. La preuve, eh bien, c'est que sur mes cinq enfants, c'est mon fils naturel qui a dû se battre contre un cancer! Si j'interprète les théories des spécialistes, une chance que ce n'est pas l'un de mes enfants adoptés qui a contracté ce foutu cancer. On aurait probablement mis cela sur le dos de l'adoption!

Des cas d'enfants adoptés confiés à la DPJ, ça existe. Des cas d'enfants adoptés ayant des problèmes de comportement, ça existe. Mais la DPJ ne fournit pas à la demande, et les cliniques de santé mentale débordent de patients. J'ose croire que ce ne sont pas que des enfants adoptés!