Malgré l'accumulation de preuves indiquant que la construction d'hôpitaux en PPP coûte plus cher, limite l'offre de services et mine toute souplesse, le gouvernement et certains groupes ont continué d'en vanter les avantages imaginaires: vive concurrence, moindres coûts, transfert de risque, injection de fonds privés, meilleure conception, etc.

Mais ces fantaisies ont déjà été, une à une, contredites. La «concurrence» se limite chez nous à deux propositions, ce qui n'a rien à voir avec une saine concurrence. Le «transfert du risque» n'existe plus ; le gouvernement a changé la formule, fournissant 45% du montant pour la construction de même que des garanties de prêt. Les coûts sont beaucoup plus élevés que prévu ; et c'est nous, pas «le privé», qui payons. L'injection de fonds privés est un leurre; de tels consortiums, dont certains partenaires sont en quasi-faillite, n'arrivent plus à lever de fonds, d'ailleurs plus cher à l'emprunt. Et la conception en pâtira.

Je n'aurais toutefois jamais imaginé qu'on pousserait plus loin la dérive : pour le centre de recherche du CHUM, dont la construction a été annoncée jeudi, il ne reste en effet... qu'un seul consortium ! Un concours avec un seul concurrent! Qui a gagné à votre avis? On nous en avait pourtant promis de nombreux et, donc, une lutte acharnée nous assurant du meilleur prix.

Mais rassurons-nous, la ministre Gagnon-Tremblay affirme sans sourire que «le consortium restant n'a jamais été mis au courant que l'autre s'était désisté. Il a donc soumis sa proposition avec un esprit de compétition.» Ouf! On respire: Accès recherche CHUM ne savait donc pas qu'il était seul, personne ne l'avait informé, d'ailleurs il ne l'avait pas demandé.

Heureusement, par la vertu de cet «esprit de compétition», le centre de recherche sera tout de même construit au meilleur coût possible. Je dois donc avoir un esprit de loser pour douter à ce point de la probité du processus. Mais lorsque même le Vérificateur général dénonce vertement l'Agence des PPP pour un travail aussi bâclé que biaisé, j'ai la faiblesse de m'interroger, surtout quand on réussit à annoncer la première pelletée de terre une semaine avant la décision finale.

Un vrai gâchis. Mais le gouvernement persiste et signe. Au fait, il faudra bien, un jour, répondre à cette question simple : pourquoi? Pourquoi, en effet, imposer contre vents et marées un trip PPP, presque sans appui, sauf des cercles restreints qui n'osent pavoiser puisque souvent juges et parties?

Certes, il s'agit de transformer la société, ce qui pourrait être idéologique. Mais en réalité, il s'agit surtout d'en faire coïncider la gouvernance avec certains intérêts bien identifiés, pas nécessairement ceux des patients, du personnel, des médecins ou de la population.

Un tel choix participe plutôt d'un mouvement de fond visant à relever l'État de ses responsabilités premières en santé (cet immense marché), afin de les confier au secteur privé. Le mode PPP pour les CHU agit donc simplement comme un cheval de Troie permettant d'accélérer cette transformation sociale majeure et les rôles fondamentaux: qui demain planifiera les grands projets, qui les financera, qui les contrôlera et qui en profitera.

Cet affaiblissement progressif de la capacité de nos pouvoirs publics d'influencer les choses, ce mouvement directement opposé à celui de la Révolution tranquille, participe d'une sorte de régression tranquille dont nous léguerons les malheureux effets à nos enfants -après avoir profité au mieux des fruits de la première.

C'est donc un renoncement aussi majeur qu'irréfutable -et surtout irrémédiable en raison des échéanciers démesurés en cause- que nous aurons bêtement accepté sans broncher, étonnamment aveuglés ou encore tout simplement distraits face à des enjeux pourtant si graves.

Gênés de prendre position sur la place publique, pressés d'avoir nos «CHU», nous avons refusé de bien examiner les enjeux de fond, obnubilés par notre désir de rattraper le temps perdu et faussement convaincus que d'accepter ce «moindre mal» était une avancée pour le système de santé.

Mais dans les faits, en refusant de réagir, nous avons choisi notre camp : celui de la démission collective. J'ignore si nous nous en remettrons.