Le 8 août 1989, la Cour suprême du Canada rendait son jugement dans l'affaire Chantal Daigle, mettant ainsi fin à un suspense qui a tenu le Québec et le Canada en haleine pendant quelques semaines. Aujourd'hui, nous tenons à souligner le 20e anniversaire de ce jugement qui demeure un des plus importants en matière de droit à l'avortement.

On se souviendra qu'en juillet 1989, à la suite d'une injonction de la Cour supérieure, Chantal Daigle était la seule femme au Canada qui ne pouvait se faire avorter, sous peine d'emprisonnement et d'une amende de 50 000$. Déboutée en Cour d'appel, la jeune femme avait porté sa cause devant le plus haut tribunal du pays et défié la loi en se faisant avorter aux États-Unis.

 

Dans un jugement historique (Tremblay c. Daigle, [1989]) qui n'a jamais été contredit depuis, la Cour suprême affirme que les droits du foetus et les droits du père en puissance n'existent pas. La Cour ajoute que seule la femme enceinte a le pouvoir de décider si une grossesse sera menée à terme et que le père n'a aucun «intérêt» sur le foetus. Elle conclut que «le foetus n'est pas compris dans les termes «être humain» utilisés par la Charte québécoise et, par conséquent, ne jouit pas du droit à la vie conféré par son article premier». Ce jugement, ainsi que l'arrêt Morgentaler, qui décriminalisait l'avortement un an et demi auparavant, constituent encore aujourd'hui les jalons juridiques du droit à l'avortement au pays.

Mais l'histoire de Chantal Daigle n'est pas seulement remarquable en raison de son caractère fortement médiatisé, des acteurs en présence, et de sa contribution en matière de droits des femmes. C'est aussi l'histoire d'une formidable mobilisation et d'une grande solidarité, entre cette jeune femme de 21 ans qui ne se disait pas féministe et le mouvement en faveur du libre-choix.

Au lendemain de la décision de la Cour d'appel, le mouvement féministe prépare la riposte. En quelques jours, la Coalition québécoise pour le droit à l'avortement libre et gratuit (CQDALG), composée de groupes féministes, syndicaux et étudiants, et forte de l'appui d'une grande partie de la population, organise la plus grande manifestation jamais vue en faveur de la liberté de choix au Canada. Ainsi, le 27 juillet, plus de 10 000 personnes manifestent leur appui à Chantal Daigle dans les rues de Montréal.

Dans le Manifeste des femmes du Québec, la CQDALG compare le fait de forcer une femme à poursuivre une grossesse non désirée à un viol: «La forcer, sous la menace d'emprisonnement, à porter dans son corps un enfant qu'elle ne veut pas mettre au monde, c'est de la violence physique et psychologique... jusqu'à maintenant, les décisions des tribunaux dans l'affaire Chantal Daigle démontrent que la magistrature s'est fait complice de la violence conjugale. Ces jugements sont fondés sur des principes sexistes qui légitiment l'appropriation des femmes par les hommes, et non sur des principes de justice fondamentale qui garantissent aux femmes l'égalité.»

Le jugement de la Cour suprême aura tranché la question pour les décennies à venir: en matière d'avortement, les femmes sont les seules juges. Souligner les 20 ans de ce jugement, c'est souligner cet acquis fondamental, ainsi que le courage de Chantal Daigle et celui de toutes les femmes qui, encore aujourd'hui, doivent se battre pour exercer et défendre leur droit de décider librement de leur maternité.

L'auteure est coordon-natrice de la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN). Elle se prononce au nom du comité organisateur des activités entourant le 20e anniversaire de l'affaire Chantal Daigle.