C'est quasiment prévisible. Tous les ans, ou presque, un nouveau documentaire qui diabolise l'industrie agroalimentaire fait son apparition. Il y a eu le Super Size Me de Morgan Spurlock, Fast Food Nation, le récit d'Eric Schlosser publié en 2001 et porté au grand écran en 2006. En 2001, même le Québec a eu droit à sa leçon de moralité agricole avec Bacon, le film de Hugo Latulippe.

Certains livres adoptent le même point de vue et reprochent à l'industrie agroalimentaire de trahir la volonté des consommateurs. Ces oeuvres défilent en dénonçant les dérives de notre modèle capitaliste et de l'industrie agroalimentaire. Maintenant, c'est au tour de Robert Kenner de faire des siennes avec Food, Inc. (v.f. Les Alimenteurs). Ce film a été présenté en juin au Canada et sortira un peu plus tard cet été en Europe. Bien que tous ces documentaires brossent toujours un portrait grossier et injuste de l'industrie agroalimentaire, il n'en demeure pas moins qu'ils offrent une chance inouïe de débattre d'un aspect aussi important de notre vie quotidienne.

 

Sans surprise, le film Food, Inc. dresse un constat sombre de l'industrie agroalimentaire. Son réalisateur, Robert Kenner, qui a déjà remporté un prix Emmy pour un autre documentaire, y dénonce le cynisme des industriels du secteur de l'alimentation, en ce qui concerne les céréales génétiquement modifiées, le bétail traité aux hormones et les résidus toxiques dans presque tous les produits.

Après six ans d'enquête, M. Kenner estime que la prochaine crise mondiale sera alimentaire. Il a vraisemblablement raison, mais son film présente un argumentaire peu convaincant à cet égard.

D'abord, ce documentaire montre une image complètement tordue de l'industrie. Il n'offre aucune rigueur scientifique, aucune mesure fiable, et fonde ses propos sur des données purement anecdotiques.

Le film explique que les rappels alimentaires causés par la bactérie E. coli sont anormalement dangereux, mais il présente des résultats de tests de dépistage qui ne suivent aucune logique empirique. M. Kenner mise sur la peur pour véhiculer son message alarmiste: il omet, par exemple, de mentionner que les bactéries se retrouvent dans notre environnement, peu importe les méthodes de production et de distribution alimentaires.

Food, Inc. ne discute aucunement des coûts et de l'accessibilité d'une saine alimentation pour les consommateurs. Pour les familles moins nanties, ces aspects sont bien sûr de première importance.

De plus, M. Kenner, lui-même un apprenti en matière de politique agricole, mentionnait en juin dernier que le film ne critique pas pour autant l'industrie agroalimentaire, mais présente plutôt un plaidoyer pour une plus grande transparence. Certes, qu'un cinéaste s'intéresse à un sujet qu'il ne connaît guère n'est pas rare. Or, le domaine agroalimentaire est d'une telle complexité qu'il doit s'assurer le concours de personnes-ressources crédibles. M. Kenner a choisi de s'entourer de Michael Pollan et d'Eric Schlosser, deux apôtres connus de l'anti-industrialisation de l'agriculture. Plusieurs entreprises ont offert des visites à M. Kenner, des entrevues et même de l'information supplémentaire. Ces offres ont toutes été déclinées par le cinéaste.

Food, Inc. est un film prévisible, dangereux, mais nécessaire. Il faut malgré tout que des documentaires sur ce sujet continuent d'être produits. C'est peut-être contre-intuitif comme propos, mais il existe un besoin criant pour la poursuite de ce genre de débats. Les industriels doivent éduquer davantage les consommateurs à propos de leur réalité économique et financière. Pour l'instant, les documentaires comme Food, Inc. le font à leur place. Les consommateurs ont l'industrie agroalimentaire qu'ils méritent et il faut le dire.

Les cinéastes et les industriels se mobilisent. Mais d'après les résultats de Food, Inc., les consommateurs restent plutôt indifférents. Depuis sa sortie en juin dernier, Food, Inc. n'a malheureusement rapporté que 2 millions aux guichets. C'est peu, très peu. L'alimentation est l'affaire de tout le monde, mais peu sont prêts à investir quelques dollars pour s'informer davantage sur les rudiments de l'industrie agroalimentaire, peu importe la qualité du documentaire. C'est dommage.

Sylvain Charlebois

L'auteur est vice-doyen à l'École d'études supérieures de politiques publiques Johnson-Shoyama, à l'Université de la Saskatchewan.