En octobre dernier, deux promoteurs immobiliers ont payé 46 millions aux Sulpiciens pour l'achat de leur propriété où logeait le collège Marianapolis. Ce qui est inusité dans cette transaction, c'est non seulement le prix - à 140 000$ la porte, un des prix les plus élevés jamais payés à Montréal pour un projet de condos - mais le fait que l'achat se soit fait sans condition avant même que le terrain ne soit zoné résidentiel.

Zoné institutionnel, le terrain des Sulpiciens ne vaut que 10 millions. Sa valeur est quadruplée par un changement de zonage permettant de construire des édifices résidentiels sur les espaces verts entre les bâtiments actuels, en plus de convertir aussi ces derniers en condos. En fait, à flanc de montagne, tout changement de zonage et la densification qui s'en suit sont une affaire en or, car la demande y semble insatiable pour des condos.

 

Les promoteurs du projet proposent de construire 325 unités de logement, soit 170 condos dans le périmètre actuellement construit du domaine, mais aussi 145 condos sur un grand parc au coeur du domaine, et dix maisons unifamiliales sur des espaces qui servent présentement de terrains de tennis. Même si les promoteurs affirment que le «bâti» n'occupera que 15% du domaine, en fait, en excluant les zones non constructibles escarpées et boisées, c'est presque tout le domaine qui sera privatisé, avec une rue de grandes maisons unifamiliales, et une autre flanquée de huit édifices de condos haut de gamme.

Depuis plusieurs générations, la montagne se fait gruger peu à peu par la construction immobilière. De nos jours, l'invasion passe par le rezonage des terrains institutionnels et leur densification. Il y a 10 ans, ce fut le cas de la Ferme sous les noyers, jouxtant le domaine des Sulpiciens, rue Atwater.

Dans quelques années, des domaines comme l'hôpital Royal Victoria arriveront sur le marché. Leurs propriétaires, des institutions caritatives «à court d'argent», comme disent aujourd'hui les Sulpiciens, rêveront d'empocher les centaines de millions que pourraient valoir leurs terrains à flanc de montagne s'ils étaient zonés résidentiels. Des promoteurs compréhensifs leur offriront évidemment ces millions, s'ils peuvent y construire des condos, dans les édifices actuels et sur les terrains entre les édifices actuels: ce sera Marianapolis II, comme Marianapolis est Ferme sous les noyers II.

Et ça continue. Chaque génération a ses «pôvres» Sulpiciens, et pour les appuyer, ses maires et ses chambres de commerce qui aiment la construction.

Mais il n'y a qu'une montagne à Montréal, et malheureusement de génération en génération, elle rétrécit, comme une peau de chagrin.

Une pause salutaire

En 2005, le gouvernement du Québec créa l'arrondissement historique et naturel du mont Royal. Tout projet sur ce territoire doit recevoir l'aval de la ministre de la Culture, en plus de l'approbation de la Ville, s'il y a changement de zonage et dérogations au plan d'urbanisme. Le décret repose sur le principe qu'il faut protéger pour les générations futures le caractère naturel et les aspects historiques de la montagne.

Le domaine Marianapolis est le premier des nombreux domaines institutionnels de l'arrondissement qui est mis en vente depuis l'adoption, en avril 2009 par la Ville de Montréal, d'un plan de protection pour la montagne.

C'est un moment opportun pour ouvrir le débat sur ce que nous voulons faire avec ces domaines institutionnels sur le flanc du mont Royal. En particulier, y a-t-il lieu de transformer les espaces verts qui entourent les édifices historiques en sites de condos «avec vue magnifique» ? Dans le cas de Marianapolis, la question d'intérêt public est de déterminer si Montréal a besoin d'activité économique au point de construire 325 nouveaux condos de luxe dans un site protégé sur le flanc de son unique montagne.

La règle implicite dans le plan de protection de la Ville est d'y limiter la construction aux périmètres actuellement bâtis. Cette règle permet la conversion fonctionnelle des édifices en place. Par contre, la construction de nouveaux édifices sur les terrains non bâtis de ces domaines ne peut être qu'exceptionnelle et d'intérêt public, une condition à laquelle ne répondent pas les condos. Y a-t-il lieu de formaliser cette règle avec une décision dans ce sens pour le domaine de Marianapolis?

Économiste, l'auteur est associé chez Secor. Il intervient ici à titre personnel.