Au Québec, nous célébrons la créativité. Mais lorsqu'elle sert à enrober une coquille vide, il y a un malaise. Le public traitera Guy Laliberté avec beaucoup plus de respect s'il cesse de traiter la philanthropie comme un spectacle.

Tout en s'enrichissant lui-même, Guy Laliberté a enrichi toute une nation. Cité régulièrement en exemple par les éditorialistes comme fleuron de l'entrepreneuriat «can-do» québécois, M. Laliberté n'a cependant jamais cherché à se mettre lui-même en vedette. Capitaliste typique, individualiste moderne, libertin sans complexe, Guy Laliberté est avant tout un homme d'affaires, et n'essaye pas de nous faire croire autre chose.

Ça, c'était jusqu'à la semaine dernière... Car on sait maintenant que sous ses dehors d'individualiste luxurieux, féroce en affaires comme en amour, Guy Laliberté est un poète. Et pas n'importe quel poète: un poète astronaute!

Ce sera l'occasion de fêter son 50e anniversaire, le 25e du Cirque, et le 20e de l'Agence spatiale canadienne. Et à cela nous levons nos flûtes. Mais quelle est cette étrange «mission sociale poétique» que Guy Laliberté veut mettre en scène durant son voyage dans l'espace? Il a bien tenté de nous l'expliquer dans une vidéo sur le site de One Drop, mais ses propos restent très vagues...

Guy Laliberté n'apparaît pas dans ses spectacles; il ne devrait pas jouer non plus dans celui-ci. Quand le milliardaire américain Steve Fossett a voyagé dans la stratosphère, il n'a pas essayé de nous faire croire qu'il était autre chose qu'un excentrique aux poches pleines. Pourquoi Guy Laliberté se mue-t-il en poète bienfaiteur de l'humanité alors que nous étions tous très à l'aise avec son image de riche exubérant?

Nous aurions tous applaudi s'il avait annoncé son voyage dans l'espace comme un caprice de milliardaire - avoir ses milliards, on ferait la même chose demain. Tout le monde peut comprendre ça. Mais maquiller ce voyage en opération de sensibilisation poético-sociale, on ne lui en demandait pas tant, comme le soulignait Yves Boisvert dans La Presse, qui publiait aussi un portrait du poète Claude Péloquin avec qui Guy Laliberté clamera son poème céleste.

La philanthropie, c'est très bien. Bill Clinton, Warren Buffett ou Bill Gates font tous des choses extraordinaires avec leurs fondations respectives. Mais leur but premier n'est pas de faire mousser leur image - ils n'ont rien de spécial à gagner là-dedans, puisqu'ils se sont déjà fait connaître par d'autres accomplissements.

Certains donateurs choisissent même de conserver l'anonymat, comme ceux qui ont offert 70 millions à des universités américaines au mois d'avril. C'est bien connu, dans la culture anglophone, on donne davantage à la communauté. L'école John Molson de Concordia est un bon exemple de bénéficiaire. Côté francophone, on a aussi vu Pierre Péladeau et Paul Desmarais contribuer abondamment à la société québécoise. Guy Laliberté assume-t-il aussi bien le rôle du philanthrope?

Je ne suis pas contre le voyage de Guy Laliberté. Je suis certain qu'il contribue à la société à sa manière. Par contre, je pense que le maquillage marketing de cette mission, sous l'égide de la fondation One Drop, est une erreur qui fait douter de l'authenticité des intentions sociales de Guy Laliberté.

Cette mise en scène risque de faire douter de One Drop, cette fondation un peu mystérieuse qui préfère la sensibilisation poétique aux actions concrètes. Déjà, parcourir le site Web de One Drop est une expérience en soi. Sa mission nous apprend peu de choses sur la fondation. Mis à part une exposition au Centre des sciences de Montréal, on reste dans l'attente d'une réalisation concrète au-delà du site web.

Cela étant dit, Guy Laliberté mérite le bénéfice du doute. One Drop est encore jeune, et j'aimerais beaucoup me tromper en doutant de son bien-fondé. J'attends d'être démenti.

L'auteur est consultant en marketing.