Ce matin, c'est un matin de larmes. L'optimisme et l'espoir ont laissé la place au découragement. Je sais que ça ne durera pas, que la vie va reprendre le dessus. Il suffit de garder la tête hors de l'eau en attendant une meilleure journée.

Mon fils de 4 ans est malade. Ce n'est pas un cancer, sa vie n'est probablement pas en danger, mais son quotidien, de même que celui de son père, de son grand frère et le mien, sont infernaux. Mon fils souffre d'allergies graves et nombreuses, dont la principale conséquence est un eczéma très sévère. Il reçoit une alimentation par gavage pour compenser le fait qu'il ne peut pratiquement rien manger.

 

Malgré tous ses sacrifices, les crèmes, les médicaments, la peau de tout son corps est rouge vif, rigide comme du carton et surtout, surtout, couverte de profondes égratignures sanguinolentes, qu'il s'inflige lui-même, dans l'espoir de faire cesser ses atroces démangeaisons. À 4 ans, il vit de grandes douleurs, que rien ne soulage.

Nous, ses parents, carburons à la culpabilité. Celle de continuer de travailler malgré la maladie de notre enfant, parce qu'on a besoin de sous, parce que notre propre santé mentale est en jeu. La culpabilité parce qu'on s'est fâchés à 3h de la nuit, quand on n'a pas encore fermé l'oeil et que notre petit persiste à se gratter jusqu'au sang. La culpabilité quand on donne un peu plus que la dose prescrite du médicament, dans l'espoir que cette nuit, enfin, il souffre moins, qu'il dorme un peu et nous aussi. La culpabilité de laisser notre enfant jouer à des jeux vidéo pendant des heures parce que, quand il a les deux mains sur une manette, il ne se gratte pas. La grande culpabilité de moins s'occuper du grand frère, qui a pourtant besoin d'attention lui aussi, la culpabilité de solliciter l'aide des grands-parents plus que de raison parce que le petit ne fréquente presque plus la garderie.

Hier, mon chum et moi avons passé, une fois de plus, l'après-midi à l'hôpital Sainte-Justine avec notre fils. En revenant dans le stationnement, un peu abattus par notre rencontre avec le médecin, nous avons trouvé une note sur le pare-brise. «La prochaine fois, faites attention en vous stationnant. Vous étiez si proche de mon auto que vous avez égratigné mon bumper. Quand on ne sait pas conduire, on s'abstient.» C'était signé Caroline.

C'est tout bête comme note. Mon chum l'a lue et n'en a pas fait de cas, l'a lancée au fond de la voiture. Moi, j'ai été blessée. Blessée par le manque de tolérance, par l'emportement pour une égratignure sur un pare-chocs. Dans le stationnement d'un hôpital pour enfants, où le conducteur fautif vient peut-être de se faire dire que sa fille est bel et bien sourde, que son fils ne pourra plus jamais marcher ou, plus simplement, qu'il vient de passer huit heures aux urgences avec un bébé fiévreux qui souffre de sa première otite carabinée.

Blessée surtout par l'absence de doute, par la déclaration à l'emporte-pièce. Quand on ne sait pas conduire, on s'abstient. Mon chum est un super bon conducteur. Respectueux surtout. Il s'assure de la sécurité de tous, laisse passer les piétons, n'est jamais agressif envers les autres conducteurs, si imprudents soient-ils.

C'est tout bête, mais ça m'a peinée. Je sais, j'ai les émotions à fleur de peau ces temps-ci. Je pleure en écrivant ces lignes, c'est vous dire... Peinée par un monde qui ne tolère pas une égratignure sur un pare-chocs, qui en déduit immédiatement que le fautif est un imbécile à qui l'on devrait interdire de conduire, qui, à la limite, ne devrait même pas avoir le droit d'exister, tellement il est stupide.

Puis, je me suis rendu compte que j'avais juste envie que Caroline connaisse ma peine, qu'elle comprenne peut-être la distraction de mon chum, qu'elle accorde le bénéfice du doute au prochain humain qui cabossera sa portière ou qui freinera trop brusquement devant elle.

Pour ma part, des égratignures sur mon pare-chocs, j'en prendrais des centaines. Ce sont celles sur les jambes de mon petit que je ne supporte plus.

L'auteure réside à Montréal.