Lors d'une conférence que je prononçais dans une école de Montréal le 20 mai, un enfant de 12 ans s'est levé et m'a demandé: «M. Suzuki, est-ce que l'air et l'eau redeviendront purs un jour?»

Un grand frisson a traversé la salle. Évidemment, comme scientifique, j'ai dû répondre que oui, la nature peut être généreuse avec nous si nous en prenons soin, mais que les espèces qui disparaissent ne reviendront jamais. Comme père et bientôt grand-père, j'en avais simplement le coeur brisé.

 

Comment faire vivre le rêve de cet enfant? C'est la question que je me pose en cette journée mondiale de l'environnement.

Que ça nous plaise ou non, notre génération, soit tous ceux qui vivent en ce moment sur la planète, partageons une responsabilité sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Nous sommes la première génération à avoir le pouvoir de radicalement modifier la prospérité et la qualité de vie de ceux qui viendront après nous.

Nous avons largement outrepassé la capacité de la planète à nous fournir les ressources requises pour nous maintenir en vie dans le futur. Nous vivons à crédit. Nous empruntons la prospérité et la qualité de vie des générations à venir pour combler nos désirs immédiats.

Chaque jour, la dette que nous laisserons aux prochaines générations s'accroît. Ce que cette dette écologique a de particulier cependant, c'est qu'elle ne pourra jamais être remboursée. Une fois les ressources disparues, le climat bouleversé, les sources d'approvisionnement en eau épuisées, il n'y aura plus de retour en arrière possible. Cet enfant de 12 ans le sait déjà et c'est pour cela qu'il m'interpellait. Je suis persuadé que les générations futures nous jugeront sur les gestes que nous aurons portés pour rétablir notre équilibre avec la nature, ou sur l'absence de ceux-ci.

Allons-nous pouvoir relever le défi de notre génération avec cette même vision spéculative, irresponsable et cette tendance à l'endettement et au gaspillage qui nous ont menés à la pire crise économique depuis les années 30? Non, je ne pense pas.

Nous avons besoin d'une révolution. Puisque nous créons chaque jour le monde de demain, il est l'heure de nous réinventer nous-mêmes et de réinventer notre relation avec la planète. Il est l'heure de penser à la richesse véritable et à la qualité de vie de nos enfants.

Comment s'y prendre pour réinventer notre planète? Souvent, nous avons l'impression qu'il est déjà trop tard. Mais il est en notre pouvoir d'imaginer un monde nouveau et de convaincre ceux qui nous entourent qu'un monde différent est possible. Il faut dès aujourd'hui semer nos rêves pour rendre un autre monde possible.

Permettez-moi d'essayer.

Imaginez un monde où chaque enfant pourrait se baigner dans le cours d'eau le plus proche.

Imaginez des quartiers où vous pourriez vous rendre à pied au travail ou à l'école, revenir dîner à la maison et passer plus de temps en famille.

Imaginez des villes sans voitures, sans embouteillages, et des rues transformées en jardins et en parcs.

Imaginez une baisse du taux de cancer et aussi des maladies respiratoires chez les enfants et les aînés parce que nous avons cessé d'empoisonner notre environnement et nous-mêmes.

Imaginez que toutes les maisons sont énergétiquement autonomes et qu'il n'y ait nul besoin de construire de gigantesques centrales électriques.

Imaginez que nous valorisons nos ressources et ne produisons plus de déchets.

Ce n'est ni de la science-fiction ni une utopie. Des communautés un peu partout dans le monde réussissent déjà à accomplir cela. Pourquoi ne pourrions-nous pas?

Nous avons déjà fait de grands pas depuis quelques années. Ce n'est certainement pas suffisant, mais un vent de changement souffle dans le monde. C'est ce qui me donne espoir. Avec un peu d'effort, nous pouvons bientôt faire basculer le monde dans une nouvelle ère.

L'auteur est cofondateur et président de la Fondation David Suzuki (www.davidsuzuki.qc.ca).