Dans une lettre parue le 29 mai, Pierre-Hugues Boisvenu voudrait nous faire croire que «la justice ment», qu'il existe «deux systèmes de justice» et que les gens comme moi, un «logue» depuis plus de 35 ans, sont obnubilés par le «fantasme de la réhabilitation».

Malgré tout le respect que je voue à M. Boisvenu et toute la sympathie autour des événements tragiques de sa vie, je me dois de dénoncer cette lettre qui contient des demi-vérités, déforme la réalité et induit le public en erreur.

 

Dire que la justice ment quand un tribunal condamne une personne à l'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans relève d'une démonstration de mauvaise foi, surtout lorsqu'on affirme que les personnes ainsi condamnées ont droit après 15 ans à une «réouverture administrative» de leur dossier.

Cela laisse la fausse impression que les fonctionnaires des services correctionnels ont tout le loisir d'agir à leur guise. C'est faux, le processus de révision est judiciaire, devant un tribunal quoi, et le fardeau de la preuve repose sur les épaules de la personne condamnée.

La seule question à l'étude est alors de permettre ou non de devancer la date d'admissibilité au régime de mises en liberté prévues et sous la juridiction de la Commission nationale des libérations conditionnelles, laquelle ne sera aucunement obligée de libérer la personne. Cette disposition est prévue dans le Code criminel depuis très longtemps et est connue des avocats et juges lors du prononcé de la sentence.

L'accusation la plus grave que contient la lettre de M. Boisvenu veut qu'il existe «deux systèmes de justice», soit celui des tribunaux et celui des services correctionnels. C'est faux. Les tribunaux ont la responsabilité de rendre des verdicts et d'imposer des sentences et les services correctionnels celle d'administrer ces sentences dans le respect des lois qui les régissent. Et les dispositions de ces lois sont connues des tribunaux au moment de rendre sentence.

Par exemple, le juge sait très bien qu'en imposant une sentence, disons, de trois ans, cela signifiera que la personne sera sous le coup de cette sentence pendant trois ans, mais pas nécessairement incarcérée pendant tout ce temps. Les sentences d'emprisonnement prévoient qu'il y aura une période d'incarcération minimale suivie d'une période dans la communauté d'une durée variable, selon les décisions prises par une commission des libérations conditionnelles.

M. Boisvenu voudrait nous faire croire que les systèmes correctionnels peuvent faire ce qu'ils veulent à l'insu et des tribunaux et du public, alors que cela est impossible dans le cadre législatif actuel. À moins qu'il ait des preuves irréfutables que des fonctionnaires violent sciemment des lois.

En tant que «logue», je l'avoue, j'ai été contaminé. Non par «le fantasme» dont parle M. Boisvenu, mais bien par un système de valeurs et de connaissances acquises de façon empirique qui mettent de l'avant l'idée qu'une personne a le potentiel de changer et que ça vaut la peine de l'aider à le faire tout en tenant compte du risque qu'elle peut présenter à la sécurité publique.

Dans ce contexte, punir n'est pas la seule finalité de la loi et réhabiliter n'est pas son antithèse. En fait, la punition doit viser la réhabilitation, puisque, n'en déplaise aux gens, environ 90% des personnes incarcérées se retrouveront dans une de nos communautés tôt ou tard. Est-il mieux qu'elles s'y retrouvent sans encadrement, ni surveillance et sans accompagnement pour assurer une réinsertion la plus sécuritaire possible? Est-ce «victimiser les criminels» que de vouloir s'assurer qu'ils réintègrent la société en maximisant les chances qu'ils ne créent pas de nouvelles victimes?

Quant aux personnes condamnées à perpétuité, certaines demeureront incarcérées jusqu'au moment de leur décès, et les autres se retrouveront, un jour ou l'autre, dans leur communauté en tant que citoyens respectueux des lois, mais soumis jusqu'à leur décès à un régime de surveillance et d'encadrement, lequel prévoit un retour à l'incarcération en cas de manquement aux conditions de leur mise en liberté.

Il s'agit donc vraiment d'une sentence à perpétuité, n'en déplaise à ceux qui voudraient vous faire croire le contraire.

L'auteur est criminologue, oeuvre dans le domaine de la réinsertion sociale depuis plus de 35 ans et est directeur général de l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec, un regroupement de 56 organismes communautaires à but non lucratif oeuvrant auprès de personnes ayant des démêlés avec la justice.