En 1952, année où le président de General Motors avait déclaré: «Ce qui est bon pour General Motors est bon pour l'Amérique», mon père achetait sa première voiture: une rutilante Buick de l'année qui faisait l'envie de tout le village de Saint-Prosper de Champlain, dont il était le maire.

Cette Buick ainsi que la Pontiac station wagon 1957 qui l'avait remplacée étaient de véritables chars d'assaut. Elles ont honorablement résisté à la pire des épreuves, à savoir les folies de trois adolescents (mes deux frères et moi-même) qui ne s'étaient pas gênés pour leur faire subir les pires sévices.

À cette époque, General Motors imposait sa philosophie. Les grandes villes, les unes après les autres, abandonnaient les transports en commun pour faire place à l'automobile, emblème du rêve américain tel que décrété par GM. Cette époque avait fait de moi un inconditionnel de General Motors.

D'ailleurs, avec au-delà de 50% du marché, GM dictait les règles du jeu et personne n'osait les contredire, même pas les gouvernements. GM était proactive et ne laissait personne lui dire quoi faire. C'est d'ailleurs, selon moi, fondamentalement ce qui a été à l'origine de la lente descente aux enfers de l'entreprise.

À partir du milieu des années 70, ma confiance en General Motors s'est effritée au point d'en arriver à l'inconcevable: l'achat d'une européenne. Pour moi, GM représentait le passé. La seule question dans mon esprit était de savoir si le géant passerait au travers ses difficultés et pourrait s'adapter au XXIe siècle.

Aujourd'hui, le roman-savon se termine dans la honte. Le Goliath d'hier n'est plus que l'ombre de lui-même. Je vais laisser à d'autres le soin d'analyser les aspects financiers négatifs de cette aventure et parler plutôt du manque de vision stratégique qui a coulé GM, beaucoup plus que l'argent.

Voici, selon moi, les quatre éléments qui sont à l'origine de la débâcle d'aujourd'hui:

1 > Dans les années 70, les Chevrolet, Pontiac, Oldsmobile, Buick et même Cadillac ont perdu leur personnalité propre quand, pour diminuer les coûts, GM a décidé de toutes les fabriquer à partir du même moule. Il arriva ce qui devait arriver: on a nivelé la qualité par le bas et les différences majeures entre les marques, autres qu'esthétiques, ont disparu, une Buick étant simplement une Chevrolet glorifiée.

2 > Quand les premières petites autos japonaises sont arrivées sur le marché, GM a refusé d'emboîter le pas pour ne pas nuire à sa profitabilité. Sa conclusion était qu'il s'agissait là d'une mode passagère. Et quand ils ont décidé par obligation d'entrer dans ce segment de marché en plein développement, ce fut notamment avec des citrons qui ont donné naissance au phénomène Ralph Nader.

3 > Quand les Japonais ont décidé d'envahir le marché avec des automobiles de luxe (Acura, Lexus et Infiniti), GM n'a pas cru en leur réussite. C'était leur domaine de prédilection et les Japonais allaient simplement se casser la gueule. GM a alors perdu lentement ce qui lui restait du marché profitable des automobiles de luxe. Quand ses patrons se sont réveillés, la moyenne d'âge des propriétaires de Cadillac dépassait les 65 ans.

4 > Dans les années 90, voyant que le goût des Américains revenait aux grosses bagnoles, plutôt que de préparer son avenir en développant des petites voitures économiques, GM s'est lancés à fond de train dans des segments profitables comme les véhicules utilitaires sport (VUS), avec des moteurs qui consomment beaucoup d'essence. Ce fut un grand succès temporaire, mais la graine d'un échec évident à moyen et long terme.

GM a longtemps renfloué ses pertes nord-américaines grâce à ses activités européennes ou australiennes, ou encore grâce à la profitabilité de sa division financière GMAC. Mais quand le château de cartes s'est écroulé partout dans le monde, il était devenu impossible de camoufler plus longtemps l'inévitable.

Il y a environ cinq ans, Ford était dans une situation semblable à celle de GM. Mais ce constructeur a pris les grands moyens et, aujourd'hui, Ford est le seul des trois grands à ne pas demander l'aide de l'État et à ne pas recourir à la protection des tribunaux. Il y a certes là une leçon à retenir.

Après avoir occupé différents postes de direction dans le commerce de détail pendant près de 40 ans, notamment à la SAQ, l'auteur est aujourd'hui copropriétaire de plusieurs entreprises, dont Publipage Inc.