L'importante médiatisation de la relation amoureuse entre une ministre et un député de l'opposition nous rappelle que les histoires de chambre à coucher sont fascinantes, et l'appétit des voyeurs, insatiable. Pire encore, elle nous montre à quel point il est devenu facile et légitime pour quiconque de se glisser dans votre lit.

Salivant à cette révélation amoureuse, certains analystes ont tenté de nous faire croire que la population du Québec pourrait être menacée par la relation amoureuse Normandeau-Bonnardel. Ben, voyons donc! Ce ne sont sûrement pas les confidences sur l'oreiller de ces deux tourtereaux, aussi élus soient-ils, qui mettront en péril la sécurité nationale du Québec. En vérité, seuls les jeux de coulisse et les manigances de nos politiciens risquent d'être perturbés par cette révélation. Qui s'en plaint d'ailleurs?

 

Cette fois encore, l'éthique, le droit à l'information, la sécurité publique et l'intérêt public auront été invoqués pour traiter du banal «coming out» de politiciens. La facilité avec laquelle on peut justifier l'inquisition de tout un chacun dans la vie privée d'autrui est désarmante. Si au moins ce voyeurisme se limitait aux politiciens et autres personnalités publiques!

Malheureusement, ce sont ces mêmes arguments qui servent à justifier l'inquisition de l'État dans la vie privée des honnêtes citoyens. Vous écoutez la télévision? Quoi de plus normal que de voir la petite madame de l'Agence de l'efficacité énergétique vous menacer d'entrer chez vous pour baisser votre thermostat ou mettre votre lave-linge à l'eau froide. Vous voulez initier vos enfants au mode de vie de vos ancêtres? Quoi de plus normal que d'informer le gouvernement sur l'historique de votre vie amoureuse pour obtenir la flopée de bénédictions nécessaires à l'acquisition, la possession et l'utilisation d'une arme à feu.

Ne vous aventurez pas à refuser à l'État de s'immiscer dans votre lit. Le Pierre Esprit Radisson qui sommeille en vous risque d'avoir une pléiade de Robins des Bois à ses trousses. Parlez-en à l'économiste Pierre Lemieux1. Ce dernier s'est vu retirer son permis de possession d'arme à feu pour avoir répondu «Ça ne vous regarde pas» à l'importante question d'intérêt public: «Au cours des deux dernières années, avez-vous vécu un divorce, une séparation ou une rupture d'une relation importante, ou encore avez-vous perdu votre emploi ou fait faillite?» Comme si les personnes divorcées, séparées, sans emploi ou les entrepreneurs en difficulté étaient de facto des criminels potentiels. Il suffisait d'y penser!

En réalité, nos gouvernements recueillent chaque jour une pléthore de données personnelles sur nous. Ce qui se passe dans votre maison ou dans votre lit est maintenant une affaire d'État. On ne compte d'ailleurs plus les renseignements personnels qu'il faut sans cesse refiler à nos profileurs bureaucratiques. Surtout, ne riez pas! On pourrait vous refuser votre passeport.

Même si le respect de la vie privée est inscrit dans la Charte des droits et libertés, la fallacieuse raison d'État est devenue peu à peu l'argument facile pour épier le citoyen, ce dangereux criminel qui fomente des troubles sociaux dans son intimité.

Bref, le Québec est devenu un grand Loft Story où chacun est friand de savoir ce que les autres mangent pour le petit-déjeuner et avec qui ils roucoulent. Je ne sais pas ce que le dissident russe Alexandre Soljenitsyne en penserait, lui qui disait que «notre liberté se bâtit sur ce qu'autrui ignore de nos existences».

1 Récent lauréat du prestigieux Prix Turgot (francophonie) pour son ouvrage Comprendre l'économie, l'économiste Pierre Lemieux défendra sa cause en Cour du Québec les 26 et 27 mai à Mont-Laurier.

L'auteur est professeur à l'École nationale d'administration publique à Québec (pierre.simard@enap.ca).