Sept ans après avoir quitté Bell, je trouve surprenant et troublant que des commentaires négatifs sur ma gestion de l'entreprise continuent de circuler sans vérification ni contestation. Il est temps pour moi de faire le point et de soumettre une évaluation de mon dossier en me fondant sur des critères simples et objectifs.

J'ai eu la chance extraordinaire de passer près de 30 ans de ma carrière professionnelle au sein du groupe Bell Canada, les 12 dernières années (de 1990 à 2002) à titre de chef de la direction de Bell Canada, de Nortel ou de BCE.

 

Je préciserai d'entrée de jeu que, comme la plupart des choses dans la vie, mon dossier n'est pas parfait. En 2000, alors que nous touchions à la fin de l'euphorie des titres technologiques, j'ai recommandé au Conseil de BCE de faire l'acquisition de la tranche de 77% de Téléglobe que BCE ne possédait pas. J'étais convaincu que Téléglobe serait une source de croissance pour BCE. Ce ne fut pas le cas. Après avoir tenté plusieurs fois sans succès de redresser la situation, et compte tenu de l'ampleur des pertes découlant de cette décision, j'ai soumis ma démission au conseil d'administration de l'entreprise en avril 2002, en recommandant que BCE cesse d'offrir un soutien financier à Téléglobe.

Soyons clairs. J'assume la responsabilité d'une mauvaise décision concernant Téléglobe. Mais j'assume aussi la responsabilité de nos succès et de ma performance globale.

Lorsque j'ai quitté Bell au printemps de 2002, les taux de satisfaction de nos clients et de nos employés étaient élevés; notre marque occupait le premier rang pour les services internet et pour le sans-fil. Le rendement des titres de l'entreprise dépassait largement l'indice pertinent. Plus précisément, je suis revenu chez BCE en octobre 1997 et je l'ai quittée à la fin d'avril 2002. Pendant cette période de quatre ans et demi, le rendement annuel composé total pour les actionnaires s'est élevé à 23%, comparativement à 3,5% pour l'indice TSX pendant la même période.

Pendant mon mandat comme chef de la direction de Nortel, l'entreprise a également généré des milliards de dollars de valeur pour les actionnaires. Je suis devenu chef de la direction de Nortel en mars 1993 et je l'ai quittée en octobre 1997.

Pendant cette période de quatre ans et demi, les actionnaires de Nortel ont obtenu un rendement composé de 24%, comparativement à 18% pour le marché canadien en général, représenté par le TSX.

Dans un contexte où les gouvernements ouvraient rapidement le marché des télécommunications aux nouveaux venus tout en restreignant la capacité de réaction de Bell, Bell Canada est devenue une composante à faible croissance et à dividende élevé de BCE. Nortel était le moteur de croissance du bénéfice de BCE mais, avec le temps, elle est devenue trop importante et trop dominante pour demeurer sous le contrôle de BCE. Il m'est apparu évident que BCE devait transférer sa participation dans Nortel à ses actionnaires.

Cela s'est avéré une sage décision. La distribution de Nortel a produit un dividende extraordinaire pour les actionnaires qui se chiffrait dans les milliards à l'époque et, en outre, BCE a généré un gain en espèces après impôts de 4 milliards en assurant la couverture des actions conservées qui n'avaient pas été distribuées aux actionnaires.

Dans une telle situation, il importait pour BCE de trouver très rapidement de nouveaux moteurs de croissance, sans endetter l'entreprise indûment. C'est ainsi que des milliards de dollars ont été investis pour créer de meilleures plates-formes de croissance: internet haute vitesse, spectre sans fil et expansion de réseaux sans fil, renouvellement du parc de satellites, ainsi que plates-formes et systèmes d'exploitation de télévision par satellite et de service à la clientèle.

Nous avons également mis en place des programmes de rationalisation afin de réduire les coûts. Nous avons adopté et mis en oeuvre une stratégie de convergence multimédia, grâce à Bell Globemedia, poussant plus loin le concept de packaging de services de communications sous une même marque de commerce. Rogers et Quebecor Media continuent de poursuivre leur expansion sur la base d'un tel concept.

Nous avons également créé Emergis pour accroître la valeur que nous pouvions offrir aux petites et moyennes entreprises et assurer la croissance des revenus et du bénéfice de BCE.

Enfin, nous avons créé une nouvelle division qui avait pour mandat de positionner les investissements dont nous voulions nous départir au moment opportun (par exemple BCI, CGI, Télésat...).

Les stratégies vont et viennent, mais que les résultats ne mentent pas. J'espère maintenant que, lorsque des évaluations de la performance de BCE et de ses composantes seront faites, elles le seront en fonction d'un cadre de référence approprié et objectif. Chaque chef de la direction doit trouver des façons d'offrir de la valeur aux actionnaires, quels que soient le contexte et les défis auxquels l'entreprise fait face... et il doit être jugé en fonction des résultats d'ensemble qu'il a obtenus.

JEAN MONTY

Administrateur de sociétés, l'auteur a été président de Nortel de 1992 à 1997, puis président de BCE de 1997 à 2002.