Je vieillis comme tout le monde, mais cela ne me plaît pas. Je voudrais prétentieusement arrêter le temps! Pourquoi? Fouille-moi!

Le corps s'use, se ride, fatigue plus vite qu'à une autre époque. Mais à défaut de pouvoir déjouer l'inévitable, j'ai engrangé des réserves de santé. Depuis près de 30 ans, par entêtement, par plaisir aussi, je m'entraîne régulièrement. Presque tous les jours de tous les mois de l'année. Des défis parfois déraisonnables, des articulations déboîtées, mais une forme qui est sans doute meilleure que bien des petits vieux de mon âge.

Pourtant, il a bien fallu que la machine connaisse des ratés. Que ce soit la fameuse prostate que tout homme de 60 ans apprend à découvrir au fin fond de son bas du corps, comme disent les joueurs de hockey, ou des mauvaises prédispositions cardiaques, laissées en héritage génétique.

 

J'ai appris, un jour, à chercher un bon médecin de famille. Je l'ai trouvé sans mal, à une époque où ces perles rares existaient encore. Il s'appelle Jacques Rozon, mais n'essayez pas de l'adopter, il n'en peut plus de donner de son temps à la clinique de mon quartier. Il m'a fait connaître un cardiologue et un urologue, pour les ajustements plus spécialisés.

Au mois de juin, l'urologue consciencieux et débordé de travail, Claude Trudel, s'est retrouvé sur la chaussée à la suite d'un grave accident de moto. On m'a dit qu'il est très chanceux d'être encore vivant, ce qu'il m'a confirmé lui-même. Cinq mois plus tard, il se retrouve au poste, le corps en apparence fort bien rafistolé, après avoir travaillé très fort, dit-il lui-même, à récupérer. Il a fait peur à bien des patients égoïstes, désolés de voir reporter leurs précieux rendez-vous.

Ces deux médecins sont en quelque sorte mes anges gardiens. Dans un monde où les services de santé sont si précieux, si difficiles à avoir même, je commence à découvrir que ces précieux conseillers ne sont ni éternels ni invulnérables. Pas de Spiderman, dans le monde de la médecine comme ailleurs. Il me semble que Rozon, en dépit de son sourire, a les yeux passablement cernés. Et l'autre, qui a perdu la moitié de son sang dans la rue! À notre dernier rendez-vous, il m'a dit spontanément que le besoin de retrouver ses patients l'a encouragé plus que tout à retomber sur ses pieds. Pas de prétention ni de vantardise. Juste la parole d'un homme qui veut bien faire son travail.

Maintenant, je me demande ce que je devrais faire pour protéger ces anges gardiens? Est-ce que je leur en demande trop? Est-ce que je devrais leur conseiller un peu de repos? Prendre leur température, leur pression, quand je suis dans leur cabinet?

Je ne connais pas beaucoup de médecins, mais je connais ces deux-là. J'espère qu'il s'en trouve bien d'autres qui ressemblent à ces êtres, comme dit un poète, «qui nous regardent de loin, pour qu'on ne tombe pas».

François Beaulieu

L'auteur habite à Rosemère.