Voici un extrait de la lettre qu'ont fait parvenir hier au président français, Nicolas Sarkozy, les chefs souverainistes Pauline Marois et Gilles Duceppe.

M. le président. (...) Contrairement à l'idée que vous semblez avoir de nous, les indépendantistes québécois sont favorables à tout ce qui permet au Québec de s'ouvrir au monde. Vous semblez l'ignorer, M. le président, car à l'Élysée, vous avez accompagné vos remarques fraternelles de remontrances à certains de vos frères, affirmant au sujet des indépendantistes québécois qu'ils n'adhèrent pas au «refus du sectarisme, de la division, de l'enfermement sur soi-même, au refus de définir son identité par opposition féroce à l'autre».

 

De qui parlez-vous, M. le président? Des 49,4% de Québécois, et donc de la forte majorité de francophones qui, le soir du 30 octobre 1995, ont voté Oui à la souveraineté du Québec? Aux 43% qui, lors d'un sondage de la semaine dernière, ont réitéré ce choix?

Cela fait beaucoup de monde. La moitié de la famille, M. le président.

«Sectaires»? «Féroces»? Les électeurs québécois qui ont élu en octobre 49 députés indépendantistes, soit près des deux tiers de la députation québécoise à la Chambre des communes à Ottawa et, en décembre dernier, 51 députés à Québec, formant ainsi l'opposition officielle?

«Adeptes de l'enfermement», les Québécois qui ont élu quatre gouvernements souverainistes majoritaires au cours des 30 dernières années?

Nous ne pensions pas que le général de Gaulle nous appelait à l'enfermement sur nous-mêmes lorsqu'il a souhaité, en juillet 1967, que «Vive le Québec libre!» Nous jugeons toujours qu'il avait raison lorsqu'il a plus longuement expliqué ce qui suit en novembre 1967: «Que le Québec soit libre c'est, en effet, ce dont il s'agit. Cela aboutira forcément, à mon avis, à l'avènement du Québec au rang d'un État souverain, maître de son existence nationale, comme le sont par le monde tant et tant d'autres peuples, tant et tant d'autres États, qui ne sont pas pourtant si valables, ni même si peuplés, que ne le serait celui-là.»

Nous ne pensons pas, non plus, que les nombreux hommes et femmes politiques français, dont plusieurs ont joué et jouent un rôle éminent au sein de votre formation politique, qui nous ont prodigué conseils et encouragements au cours des années et encore aujourd'hui, veulent pousser le Québec au sectarisme. Notre mouvement est fier d'avoir incarné au cours des années l'exact contraire de l'idée que vous vous en faites. (...)

Nous ne savons pas d'où vous est venue l'idée que nous réclamons de vous que vous détestiez le Canada. Malgré nos différends importants avec nos voisins, nous respectons ce pays, ses valeurs et sa population. Nous pensons que l'indépendance du Québec mettrait un terme aux rancoeurs et aux débats épuisants qui jalonnent l'histoire de notre présence dans le Canada.

Un manque de respect

(...) Nous devons à la vérité de vous faire savoir que jamais un chef d'État étranger n'a autant manqué de respect aux plus de deux millions de Québécois qui se sont prononcés pour la souveraineté. Plusieurs chefs d'État et de gouvernement, surtout du monde anglophone, ont publiquement souhaité le maintien d'un Canada uni, vantant, comme l'avait fait le président Bill Clinton en 1995, la qualité des rapports entre son pays et le Canada.

D'ailleurs, George Bush père avait affirmé en 1990 que notre cas était parmi ceux où «il faut rester courageusement assis en coulisse». Aucun n'a utilisé envers le mouvement indépendantiste les épithètes pour tout dire méprisantes que vous employez.

Mais puisque vous parlez d'enfermement, M. le président, laissez-nous vous éclairer davantage. Vous avez affirmé lors de votre passage en octobre que le Canada, «par son fédéralisme, a décliné un message de respect de la diversité et d'ouverture».

Savez-vous que depuis maintenant plus d'un quart de siècle, le Québec est gouverné par une constitution canadienne qui lui a été imposée contre sa volonté, qui restreint son autonomie en matière d'éducation, de langue et de culture, qui n'a pas été soumise à un référendum et qu'aucun premier ministre québécois, depuis René Lévesque jusqu'à Jean Charest, n'accepte de signer? Savez-vous qu'aucune réparation de cette situation inacceptable n'est envisagée ou envisageable?

La France accepterait-elle de rester dans l'Union européenne si le reste de l'Europe lui imposait un nouveau traité réduisant unilatéralement sa souveraineté sur des questions identitaires, sans même la consulter par référendum? Nous n'osons imaginer quelle serait votre réaction si une telle injustice était infligée à votre nation.

Enfermement encore: nous savons désormais qu'au soir du référendum de 1995, si une majorité de Québécois avaient démocratiquement voté en faveur de la souveraineté du Québec, le premier ministre canadien Jean Chrétien aurait refusé de reconnaître ce choix.

C'est ce qu'il a avoué depuis, même s'il avait déclaré cinq jours auparavant, dans une adresse solennelle à la nation, qu'un choix pour le oui serait «irréversible». Toute honte bue, le premier ministre canadien maintient que, même en votant majoritairement pour la souveraineté, le Québec n'aurait pu quitter le Canada. Nous savons cependant que, simultanément, votre prédécesseur, le président Jacques Chirac, aurait reconnu la décision politique des Québécois, se rangeant ainsi du côté de la démocratie et l'accompagnant dans son choix. Plusieurs pays francophones auraient fait de même et nous savons que la démocratie l'aurait emporté.

Il est vrai, M. le président, que les Québécois ne seront pas appelés à revoter sur cette question dans l'avenir immédiat. Cependant, puisque rien de fondamental n'est résolu dans les rapports Québec-Canada, il n'est pas impossible que cela survienne pendant que vous présidez aux destinées de la France. Il n'est pas impossible que la démocratie québécoise ait besoin de l'appui de tous ses amis, de tous ses frères.

Dans cette hypothèse, il vous reviendra de décider si vous souhaitez laisser, ou non, la marque d'un président qui, à un moment crucial, a su répondre avec une réelle fraternité à l'appel de l'histoire.