Partisan «d'une île, une ville» du temps du maire Drapeau et du Parti civique, j'ai ragé quand j'ai constaté le découpage de l'ancien Montréal en neuf arrondissements dans le projet péquiste de fusion des 28 municipalités de l'île de Montréal.

Tout en saluant la détermination dont il fallait faire preuve pour s'attaquer à ce dossier, j'estimais que cette particularité contenait des germes de ratage. De plus, en tapissant le Québec de 212 fusions municipales d'un coup, alors que le seul vrai problème se trouvait à Montréal, le gouvernement ouvrait toute grande la voie à la promesse de Jean Charest de permettre des référendums sur les «défusions», promesse qu'il eût été impossible de faire si la seule agglomération montréalaise avait été en cause.

Importé d'Europe, le concept des arrondissements, en plus de nous être étranger, n'avait été introduit ici que pour amadouer les villes de banlieue en rétrécissant Montréal au rang d'un amalgame de sous-ensembles, donc moins menaçant pour celles-là. On était ainsi bien loin d'une vraie fusion comme lors de l'intégration de Pointe-aux-Trembles, Rivière-des-Prairies, Saint-Michel ou, plus loin encore, Hochelaga ou Maisonneuve. Les banlieues se sentiraient ainsi en sécurité et s'intégreraient dans «l'honneur et l'enthousiasme». Cela faisait partie du rêve, mais s'est révélé une utopie grâce à la contribution de Jean Charest.

Quand il s'est empressé de tenir sa promesse, l'ultime effort de séduction de la Ville de Montréal a consisté en un amendement à sa charte pour conférer encore plus de pouvoirs aux arrondissements, y compris les doter de maires élus au suffrage universel et d'une fonction publique locale. L'effort s'étant révélé pratiquement inutile cela n'a servi qu'à nous laisser en douteux héritage une ville fragmentée, coincée avec des mairies d'arrondissement gérées comme autant de tyrannies.

Le rêve tourne au cauchemar: fractionnement des budgets, bureaucratie pléthorique, impossibilité de coordonner les efforts en matière d'entretien ou de déneigement, décisions locales douteuses et autres niaiseries, dont celle très récente que fut l'expulsion de son bureau presque manu militari d'une conseillère pour cause de changement d'allégeance.

Décidément quand ça va mal, il faut en plus que ça empire. Il suffit de voir ce que nos valeureux cols bleus infligent aux arrondissements, eux qui se sont dotés d'un syndicat «regroupé» et non «arrondi».

Mais quand Benoit Labonté s'est présenté au titre de maire de mon arrondissement, bien naïvement j'ai cru qu'avec des maires d'arrondissements de calibre et en plus issus du parti au pouvoir à la vraie mairie, les choses pourraient s'arranger un peu. Montréal pourrait recommencer à ressembler à une ville digne de ce nom. La coordination pourrait revenir à l'ordre du jour. On cesserait peut-être de parler du «réseau artériel» (sic) quand il est question des rues de Montréal. C'est de voirie qu'il est question, pas de cardiologie. On délaisserait peut-être le vocabulaire abscons et on s'occuperait plus prosaïquement de boucher les trous au lieu de sombrer dans la sémantique byzantine. Or, Benoit Labonté a lui aussi succombé au syndrome du «mairet» au point de changer d'allégeance.

Jamais le maire Drapeau n'aurait pu réussir ce qu'il a réussi s'il avait été aux prises avec un tel salmigondis. D'un autre côté, pas un politicien provincial n'aurait osé faire ce coup de Trafalgar au «maire». «La ville à 19 têtes», écrivait Michèle Ouimet. Personnellement, je dirais plutôt «La ville pas de tête». Pauvre Montréal.

Jean-François Couture

L'auteur est de Montréal.