Voilà, c'est fait. La saga du Grand Prix est terminée. «Enfin!» diront certains; « fort malheureusement», diront d'autres. Peu importe, ce qu'il faut retenir, c'est bien que Montréal vient de perdre le seul grand événement qui lui permettait encore de rayonner à l'échelle internationale.

Voilà, c'est fait. Cette grande métropole, qui au début du siècle dernier constituait le joyau du Commonwealth, qui, il y a à peine une quarantaine d'années, faisait rêver toute la planète avec son exposition universelle et qui avait su quelques années plus tard réinviter encore une fois toute cette jeunesse du monde aux Jeux olympiques, s'éloigne lentement des réseaux mondiaux et réussit à peine à se maintenir dans le giron des grandes villes d'Amérique du Nord. Autrefois rivale de New York et de Boston, ses voisines américaines, aujourd'hui, le destin de Montréal semble plus s'apparenter à Pittsburgh ou Cincinnati. (...)

 

Il faudrait peut-être profiter de l'occasion pour se demander comment il se fait que nous soyons descendus si bas en moins de 40 ans. De se demander comment nous affronterons toutes les autres villes qui cherchent à coup de centaines de millions de dollars à s'inscrire dans le groupe des villes mondiales.

Aurions-nous abdiqué face à l'avenir de cette ville? Nos élites économiques et politiques semblent avoir perdu confiance en cette ville. On a laissé partir les Expos, on a vendu les Canadiens, l'image d'un peuple, à un Américain. Dernièrement, on a laissé définitivement partir la Bourse vers Toronto, et ce, sans compter tout le secteur culturel ignoré par les grands investisseurs. Du côté politique, on laisse nos universités à l'abandon, on tergiverse sur un CHUM qui devrait déjà être terminé. Nous sommes en état d'urgence, alors que tous les investissements publics servent à maintenir et refaire des infrastructures qui risquent à tout moment de nous tomber sur la tête. Deux campagnes électorales coup sur coup et aucune vision pour Montréal. (...)

Pendant ce temps-là, à Toronto...

Pendant qu'on enfouit nos milliards dans les infrastructures, Toronto, avec l'aide de son élite, se transforme en immense terrain de jeu pour les grands architectes de la planète. On a refait une beauté au Art Gallery of Ontario et au Royal Ontario Museum dans lesquels on a investi plus de 500 millions de dollars, tout comme on a investi quelques autres millions dans le Seasons Centre for Performing Arts, et ce, sans compter tous les autres projets d'architectures et de réaménagement urbain. Pendant qu'ici nous avons des dizaines de festivals de cinéma, répartis dans différentes salles parfois de qualité discutable, là-bas leur festival du film, un des plus importants de la planète, va s'installer dans le Lightbox Center qui deviendra le complexe cinématographique le plus avancé du monde.

Toronto, contrairement à Montréal, a une vision très claire de la ville mondiale de demain et met toutes ses énergies pour en devenir une. Toronto a compris que son avenir passe par une meilleure visibilité que pourront lui apporter ces équipements, à défaut de ne pas avoir obtenu les Jeux olympiques. Dans un contexte de mondialisation, la visibilité devient le principal enjeu des villes.

Avec le départ du Grand Prix de Montréal se présente une occasion rêvée pour Toronto. Le Grand Prix de Formule 1 et les grands manufacturiers automobiles ne peuvent être absents du principal marché automobile que constitue l'Amérique du Nord. Du coup, il ne faut pas être vraiment devin pour comprendre que Toronto, avide de renommée internationale, va rapidement s'emparer du Grand Prix de Formule 1, et ce, d'autant plus facilement que les grands constructeurs automobiles y sont déjà tous installés. Espérons qu'ils seront bons joueurs et qu'ils attendront une ou deux années avant de nous faire le coup.

Voilà le mal est fait, mais quoiqu'il advienne nous ne pouvons plus nous permettre de regarder passer la parade. Le départ du GP de Montréal devrait tous nous interpeller sur l'avenir de notre ville. Il est grand temps de se demander comment nous en sommes rendus là, et surtout quoi et comment faire pour retrouver notre gloire d'antan.

Mais tout n'est pas perdu, nous savons qu'il y a 110 millions sur la table voilà déjà de quoi nous faire réfléchir.

L'auteur est professeur à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal.