Les trois quarts des Américains condamnent maintenant le bilan du président Bush. Si on ajoute à cela le fait que la politique et les valeurs de McCain et de sa colistière à la vice-présidence, Sarah Palin, sont presque identiques à celles de Bush, on pourrait s'attendre à ce que l'avance d'Obama dans les sondages soit plus grande que ce qu'elle est.

Je subodore que la raison en est le racisme. Quand on les interroge, la grande majorité des électeurs blancs et âgés rejettent Obama, même si Bush ne les satisfait pas. Un tiers des démocrates ont à un moment ou à un autre répondu dans les sondages qu'ils ne voteraient pas pour un candidat noir. Et selon un récent sondage Associated Press-Yahoo News, la couleur de sa peau fait perdre six points à Obama dans les sondages.

La plupart du temps, le racisme est insidieux et se manifeste seulement par des mots codés. Les médias, en particulier les médias conservateurs de plus en plus populaires et les émissions de radio, jouent un rôle important. Obama est constamment critiqué pour sa «différence» et son «élitisme», des mots qui évoquent l'image du «nègre arrogant» de l'époque de la ségrégation, une époque pas tellement lointaine.

Dans une interview récente, Bill O'Reilly, l'animateur radio le plus populaire de Fox News, la chaîne d'information la plus regardée, propriété de Rupert Murdoch, parlait d'Obama d'une manière tellement condescendante que cela a rappelé à certains téléspectateurs l'image d'un propriétaire d'esclave dans un vieux film d'Hollywood qui remet un jeune parvenu noir à sa place. (...)

Alors combien cette histoire de race coûte-t-elle à Obama? C'est quelque chose que les sondages ne peuvent pas mesurer. C'est «l'effet Bradley», observé la première fois en 1982 lors de l'élection du gouverneur de Californie, quand Tom Bradley, un Afro-Américain à l'époque maire de Los Angeles, a perdu devant son concurrent blanc, alors que les sondages le donnaient vainqueurs tout au long de la campagne. L'effet Bradley reposerait sur l'attitude d'une partie des électeurs blancs qui cachent leur racisme lorsqu'on les interroge. Ils disent qu'ils vont voter pour le candidat noir, alors qu'ils n'ont aucunement l'intention de le faire.

Pour les jeunes Américains, les relations sociales et les relations sexuelles interraciales font partie du paysage. Mais la vitesse même avec laquelle la société américaine a progressé menace la moitié du pays, des personnes âgées et en majorité des blancs, incapables ou se refusant à vivre dans le présent.

Main basse sur le Parti républicain

Les radicaux ont fait main basse sur le Parti républicain, un parti modéré à l'époque d'Eisenhower et des Rockefeller. Au point qu'aujourd'hui, la petite fille d'Eisenhower soutient ouvertement Obama. À l'étranger, une grande partie de l'opinion publique est perplexe de voir que dans ce grand pays que sont les États-Unis, tellement de gens ne réalisent pas que quatre ans de plus sous la houlette des républicains vont aggraver encore la situation et pousser le pays à la faillite.

Dans toute société civilisée, l'ignorance ne tombe pas sous le coup de la loi et qui veut peut être moralisateur. Mais il est inquiétant de voir combien les croyances religieuses et les valeurs morales individuelles modèlent de plus en plus une société américaine supposée laïque dont les pères fondateurs avaient conçu la Constitution pour séparer l'État et l'Église.

Avec son orientation radicale, le Parti républicain d'aujourd'hui représente une grande partie de la population qui croit que l'avortement et le mariage entre personnes du même sexe sont immoraux, que Dieu a envoyé l'Amérique en Irak et que le sauvetage de Wall Street, c'est du «socialisme».

Lors de la convention républicaine en août, les slogans à déchirer les tympans tels que «USA! USA!» et «Drill, baby, drill» («Fore, bébé, fore» en référence aux forages pétroliers souhaités par Sarah Palin) résonnaient autant comme des cris de désespoir que de défi à l'égard d'un ennemi qui menace le droit divin de l'Amérique à dominer. Palin a depuis identifié l'ennemi, disant d'Obama: «Ce n'est pas un homme qui voit l'Amérique comme vous et moi nous voyons l'Amérique.» Que cette phrase ait ou pas un sous-entendu raciste, comme nombre d'observateurs le pensent, d'après les sondages beaucoup d'Américains sont d'accord.

Copyright: Project Syndicate, 2008. www.project-syndicate.org. Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz.

L'auteur a été chercheur invité (en histoire) auprès des universités de Princeton, Columbia, Harvard et Oxford.