Les environnementalistes versent-ils trop facilement dans l'exagération et ont-ils raison de norcir sans arrêt l'avenir? Bjørn Lomborg et Jean Lemire répondent.

LE PIRE DES MONDES

Bjørn Lomborg

Avez-vous remarqué que les militants pour la protection de l'environnement affirment presque invariablement que, non seulement le réchauffement climatique existe et qu'il est négatif, mais aussi que ce que nous voyons est encore pire que les prévisions?

C'est très curieux, car n'importe quelle appréhension raisonnable des techniques scientifiques devrait s'attendre à ce que, à mesure que nos connaissances s'affinent, nous trouvions que les choses sont parfois pires et parfois meilleures que nos attentes. Et que la distribution la plus probable des probabilités est de 50-50. Les militants écologistes, en revanche, les voient invariablement comme un rapport 100-0.Il n'est tout simplement pas vrai que les données climatiques sont systématiquement pires que les prévisions: à de nombreux égards, elles sont exactement les mêmes, voire meilleures. Le fait que nous entendions un autre son de cloche est une indication de la dépendance des médias au sensationnalisme. Or, tout cela constitue une base bien médiocre pour des politiques intelligentes.

L'élément le plus évident concernant le réchauffement climatique est que la planète se réchauffe. Sa température a augmenté d'environ 1°C en un siècle. Et le Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations unies (GIEC) prévoit une augmentation comprise entre 1,6°C et 3,8°C au cours de notre siècle, principalement à cause de l'augmentation des émissions de CO2. La moyenne des 38 essais standards du GIEC montre que les modèles prévoient une augmentation de la température pour notre décennie d'environ 0,2°C.

Mais ce n'est pas du tout ce qui s'est passé. Et c'est valable pour toutes les mesures de température de surface, et encore plus pour les deux mesures satellitaires. Les températures de notre décennie n'ont pas été pires que prévu. En fait, elles n'ont même pas augmenté. Elles ont même baissé entre 0,01°C et 0,1°C par décennie. Pour l'indicateur principal du réchauffement climatique, l'évolution de la température, nous devrions entendre que les données sont en fait bien meilleures que prévu.

Une partie de l'explication

On nous répète constamment que la glace de l'océan Arctique fond plus vite que prévu, et c'est vrai. Mais les scientifiques les plus sérieux admettent que le réchauffement climatique ne compte que pour une partie de l'explication. L'autre explication est que l'oscillation arctique, la circulation des flux d'air sur l'océan Arctique, empêche aujourd'hui l'accumulation de la glace ancienne, et précipite la plupart de la glace dans l'Atlantique Nord.

Mais plus important, nous entendons rarement que la glace de l'océan Antarctique non seulement n'est pas en train de fondre, mais est en fait au-dessus de la moyenne depuis un an. Les modèles du GIEC prévoient une baisse de la glace dans les deux hémisphères mais, alors que l'Arctique a des résultats pires que prévu, l'Antarctique s'en tire mieux.

Depuis 1992, nous possédons des satellites qui mesurent l'augmentation mondiale du niveau des mers. Ceux-ci ont montré une augmentation stable de 3,2 millimètres par an - exactement la projection du GIEC. En outre, au cours des deux dernières années, le niveau des mers n'a pas augmenté du tout - en fait, il a même un peu baissé. Ne devrait-on pas nous dire que c'est bien mieux que prévu?

Les ouragans étaient le fonds de commerce du célèbre film d'Al Gore sur le réchauffement climatique. Or, il est vrai que les États-Unis ont été meurtris en 2004 et 2005, ce qui a provoqué des prévisions délirantes de tempêtes encore plus fortes et plus chères pour l'avenir. Mais il s'avère que, dans les deux années qui ont suivi, les coûts reliés aux tempêtes ont été bien inférieurs à la moyenne, et pratiquement nuls en 2006. Pas de doute, c'est mieux que ce qui était attendu.

Bien sûr, toutes les choses ne sont pas moins mauvaises que ce que nous pensions. Mais l'exagération partiale n'est pas une solution pour faire avancer les choses. Nous avons un besoin urgent d'équilibre si nous voulons faire des choix sensés.

Copyright: Project Syndicate, 2008.

L'auteur est l'organisateur du Consensus de Copenhague, professeur adjoint à la Copenhagen Business School et auteur de deux livres, «Cool It» et «The Skeptical Environmentalist».



MANIPULATION DES CHIFFRES


Jean Lemire

Cher professeur Lomborg, à l'invitation de notre éditorialiste en chef, je me permets de répondre à votre texte d'opinion. Je l'ai lu avec un certain plaisir, sans grande surprise. Il s'agit d'une analyse discutable de la situation des changements climatiques, orientée par votre formation d'économiste. Le ton de votre exercice littéraire, puisque c'est bien de cela qu'il s'agit, s'inspire de tous vos autres écrits - et ils sont nombreux - reprenant toujours les mêmes arguments, la même logique intellectuelle et, malheureusement, les mêmes lacunes argumentaires qui, de mon simple point de vue, deviennent redondantes au fil de vos écrits.

Si l'on peut être stimulé intellectuellement au premier abord, une simple recherche des faits énoncés dévoile rapidement le stratagème qui n'a d'autre but que de discréditer adroitement la science pour mieux servir votre point de vue. Loin de moi l'idée de vous accuser de ne pas citer correctement les scientifiques. J'en ai plutôt contre cette façon trompeuse de n'utiliser que des informations partielles et incomplètes, sorties de leur contexte général, pour défendre une théorie qui, trop souvent, va directement à l'encontre de l'hypothèse avancée par l'auteur même de vos citations. En ce sens, votre démarche est non seulement discutable, mais elle est même parfois irrespectueuse envers le travail des scientifiques que vous citez.

Je ne vais pas reprendre ici chacun des exemples de votre texte, puisqu'il s'agit toujours du même processus. Vous errez dans votre démarche intellectuelle quand vous affirmez que les modèles climatiques sont aveuglés par une réalité qui ne fait que s'aggraver. Je vous rappelle que les modèles climatiques ne font que compiler des données scientifiques vérifiées, et qu'aucune interprétation de ces données brutes ne fait partie de ce processus d'analyse scientifique. On ne fait que nourrir les super ordinateurs de chiffres. Les données qui alimentent ces modèles ne sont que des faits, vérifiés et vérifiables.

Modèles climatiques

Affirmer que les modèles climatiques ne sont pas valables, en se basant sur un argument non fondé d'une manipulation négative des données, représente un tour de passe-passe intellectuel dont le seul but est de discréditer les scientifiques. Pourtant, vous utilisez régulièrement ces mêmes scientifiques et leurs études pour défendre votre point de vue. Malheureusement, vous errez encore en n'utilisant trop souvent qu'une partie des résultats de leurs études, celle qui vous convient, et hors de leur contexte d'origine. Votre exemple sur la circulation des flux d'air sur l'océan Arctique ne sert pas votre propos puisque, dans la partie non citée par vous, les chercheurs de cette étude confirment une augmentation de la force des vents et des tempêtes en raison du réchauffement dans l'Arctique.

Votre formation d'économiste vous a montré l'art de manipuler les chiffres. Quand vous faites référence à l'augmentation des températures au cours de la dernière décennie, vous jouez volontairement avec la notion mathématique de la moyenne. Or, vous savez comme moi qu'une moyenne se calcule à partir d'un point de départ, une année de référence dans le cas qui nous concerne. Reculer de seulement 10 ans est trompeur et cible volontairement 1998, l'année record en matière de température moyenne annuelle. Bien sûr qu'il est normal de constater une baisse de température si l'on utilise l'année d'exception en référence et sur une échelle temporelle aussi courte.

Vous ne m'en voudrez pas si je préfère l'analyse et le consensus des scientifiques qui ont compilé ces données, plutôt que votre analyse qui reprend ces mêmes données, mais de façon partielle et incomplète. Je laisse la science aux scientifiques, comme je laisse l'économie aux économistes, et vous invite à faire de même.

Il faudra bien trouver une solution, ensemble, économistes et scientifiques. Et pour reprendre les mots d'un économiste célèbre: «Nous avons un besoin urgent d'équilibre.» C'est justement ce que les scientifiques réclament: le retour à un équilibre naturel qui protège la vie. En passant, à combien chiffrez-vous la disparition d'une espèce dans vos modèles économiques?

L'auteur est biologiste et explorateur.