À peine âgée de vingt-deux ans, la francophonie des Sommets a besoin de faire une cure de rajeunissement, cette semaine, à Québec où elle nous revient après avoir bouclé un tour du monde en zigzag, de Dakar à Hanoi, en passant par Moncton et Beyrouth. Au lieu de s'inquiéter de la comparaison inévitable avec les flamboyantes assises du Cap Diamant, en 1987, Abdou Diouf, secrétaire général de l'Organisation de la francophonie, a plutôt décidé de s'en inspirer pour insuffler aux Sommets francophones la ferveur et l'innovation qui avaient marqué celui qu'ont coprésidé MM. Mulroney et Bourassa. Voilà qui ne peut manquer de plaire à Jean Charest, à qui on prête la ferme intention de faire subir un traitement décapant à ces rencontres.

Il est vrai que le premier Sommet de Québec a mis la barre haute, s'étant avéré l'un des plus fructueux de tous. Sur la lancée de la rencontre fondatrice de Versailles, cette première conférence de Québec avait imprégné à la jeune instance internationale un élan résolument interventionniste et orienté vers le concret. Pour véritablement mettre en oeuvre une francophonie en action, les 37 présidents et premiers ministres présents avaient identifié cinq secteurs prioritaires, dont la culture, l'énergie et l'information scientifique. Là ont pris naissance l'Agence de l'énergie (avec siège dans la Vieille Capitale), la première Université multilatérale des réseaux de langue française et les Jeux de la francophonie. Sous la même impulsion, TV5 Québec-Canada voyait le jour un an plus tard.

Renouveau escompté

Mais comment réaliser le renouveau escompté dans le contexte aujourd'hui? Il faut bien avouer que la tâche n'est pas aussi simple que durant la période pionnière où tout était à faire, avec la liberté de tailler dans le neuf. Le nombre de pays membres est passé de 37 à 42 et les observateurs de deux à 13, d'où le danger d'une dilution du dénominateur linguistique: la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie et, demain, la Thaïlande ne sont pas précisément des pays francophones. Au fil des années, les enthousiasmes initiaux se sont essoufflés à tenter d'animer des appareils naturellement enclins à l'enlisement bureaucratique.

On comprend donc le premier ministre du Québec de vouloir décrisper les échanges, d'abord par des discussions interactives conduites à huis clos, d'où seront exclus les pays observateurs, pour ensuite se poursuivre en petits groupes répartis autour de tables rondes. On affirme par ailleurs que le communiqué final se démarquera des scripts fourre-tout préparés des semaines à l'avance par des fonctionnaires, dans le dialecte universel de la langue de bois. Celui de Québec devrait être court et rédigé à chaud, à la toute fin de la Conférence.

Les Sommets ne peuvent retrouver leur pertinence qu'autour de la langue française et de la place qu'elle doit prendre dans le plurilinguisme et la diversité culturelle pour résister à la tentation de l'unilinguisme anglais. Pour l'heure, tout indique que M. Charest a, pour la première fois, réussi à convaincre ses collègues d'inscrire la promotion de la langue française comme thème en soi de la rencontre. Du côté du Québec, on souhaite que les travaux de la conférence débouchent sur des engagements spécifiques des pays membres visant à intensifier et élargir l'usage du français.

On a aussi déployé des efforts pour restreindre l'éventail des autres thématiques, telles la crise financière et la question des changements climatiques. L'éparpillement de l'agenda ne peut qu'ajouter à l'anémie des résultats et au déficit de crédibilité de ces Sommets. Personne ne peut, par exemple, se faire d'illusion sur l'impact réel des interventions d'un tel forum sur le rétablissement des marchés financiers internationaux. (...)

(...) Ce deuxième Sommet de Québec donne ainsi à nos deux ordres de gouvernement une occasion privilégiée de travailler à l'unisson pour en faire un temps fort de l'identité francophone du Québec, en la faisant rayonner auprès de 200 millions de parlants français. L'occasion est belle pour le premier ministre fédéral d'établir, au moins dans ce domaine, avec son vis-à-vis québécois, le genre de partenariat qui leur assurerait le leadership de la conférence. Pour cela, il faut que le premier ministre du Canada fasse montre d'autant d'ouverture d'esprit que M. Mulroney à la rencontre de 1987.

À l'heure où les horizons des Québécois - surtout des jeunes - s'ouvrent sur le monde, l'engagement international du Québec prend tout son sens, en tous les cas bien au-delà des luttes protocolaires par où il a fallu passer. C'est particulièrement vrai au sein de la francophonie où le Québec joue un rôle-clé, aux côtés de la France et de concert avec le Canada.

La francophonie des Sommets doit redécouvrir à Québec sa ferveur identitaire et la spontanéité de ses premiers pas, dans un retour nécessaire à ce qui unit réellement ses membres et à l'esprit qui en avait déterminé la création.

Au moment d'entrer dans la grande salle du Palais des congrès pour y amorcer leurs travaux, les participants devront se rappeler que leurs prédécesseurs se sont convaincus de la justification de cet exercice extraordinaire de concertation à partir de la nécessité d'assurer la vitalité du français par une solidarité ciblée et agissante. C'est aussi la meilleure façon de secouer l'indifférence de certaines élites et d'associer le grand public - au Québec à tout le moins - aux efforts que requiert la cause du français, ici et ailleurs.

L'auteur a été premier ministre du Québec de 1996 à 2001.