De récentes affaires d'agressions sexuelles largement médiatisées ont mis en doute la crédibilité des plaignantes, et un glissement inquiétant peut amener à soupçonner toutes les plaintes d'être de fausses allégations.

À la suite des accusations auxquelles Dominique Strauss-Kahn a fait face aux États-Unis et qui pourraient être retirées, la nouvelle plainte déposée contre lui, en France cette fois, a paru d'emblée suspecte. Pourquoi Tristane Banon a-t-elle attendu si longtemps pour dénoncer une agression qui se serait produite en 2003?  Il faut savoir que, parmi les femmes rencontrées dans les Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, près de la moitié (46%) attendent 13 ans ou plus avant même d'aller chercher de l'aide.

Quant aux accusations de méfait public portées contre la jeune femme qui a prétendu avoir été violée dans une halte routière - et dont nous avons abondamment entendu parler - cela représente un cas exceptionnel.

Selon des données tirées des orientations gouvernementales en matière d'agressions sexuelles, jusqu'à 90% de ces crimes ne sont pas déclarés à la police.  Non seulement la plupart des victimes ne mentent pas, souvent elles n'en parlent même pas et portent seules le poids des conséquences de la violence qu'elles ont subie.  Les obstacles au dévoilement sont nombreux : la honte, la culpabilité, la peur, notamment la peur de ne pas être crues.

Il n'existe pas de profil-type des agresseurs, mais il s'agit en général d'une personne connue de la victime - dans près 8 cas sur 10 - c'est-à-dire un proche ou un homme en position d'autorité.  On imagine combien il peut être difficile de dénoncer un père, un oncle ou un conjoint, par exemple, qui est par ailleurs apprécié de tous.  De telles confidences soulèvent des doutes dans l'entourage de la victime, ce qui ne l'aide en rien, au contraire.  Une attitude aidante exige plutôt écoute, empathie et confiance.

Les histoires de fausses allégations, auxquelles les médias accordent beaucoup trop de place, donnent un portrait erroné de la problématique de la violence sexuelle, alors qu'elles ne représentent qu'une infime partie de la réalité.  On estime en effet que le taux de fausses allégations pour tous les crimes se situe à 2%, et il n'y a pas de raison que ce soit différent pour les agressions sexuelles.

Si ces crimes demeurent difficiles à prouver, faute de preuves ou de témoin, la difficulté est surtout de les dénoncer, quand la victime est elle-même tenue responsable d'une façon ou d'une autre, par son habillement, son attitude ou son comportement.  Même dans le cas où la plaignante était inconsciente au moment de l'agression, il a fallu se rendre jusqu'à la Cour Suprême pour statuer qu'elle n'avait pas pu donner son consentement, même à l'avance.  Et certains ont continué de douter de sa crédibilité.

Quand verrons-nous la réalité en face comme société pour admettre que la violence sexuelle est plus répandue qu'on pense, qu'elle demeure taboue et qu'il faut en parler franchement, plutôt que s'attarder à des cas isolés?