Le dernier film de Denis Villeneuve, Arrival, est arrivé en salle au moment où Donald Trump accédait au pouvoir. Film-poème de science-fiction où l'amour, comme toujours, va l'emporter, y compris celui des extraterrestres pour les humains, j'aurais eu envie d'y voir des restes d'espoir. Malheureusement, cet univers de rêves, partout encensé, tissé d'images sublimes, enfonce le clou de la réalité.

Au centre, une héroïne, unique femme au sein d'un boys club de scientifiques, politiciens et militaires, dont la détermination, l'intelligence, les capacités communicationnelles et, surtout, la douceur et la patience, lui permettront de résoudre l'énigme devant laquelle la planète entière retient son souffle. Des soucoupes volantes viennent d'atterrir un peu partout, et chaque pays tente de comprendre pourquoi. Du côté américain, on fait appel à une linguiste pour qu'elle entre en communication avec les « étrangers ».

Louise Banks (Amy Adams) est la femme. Rousse aux yeux clairs, peau ultrablanche, comme c'était le cas dans Sicario (sous les traits d'Emily Blunt), l'héroïne est une femme seule, une Schtroumpfette incluse dans un groupe d'hommes. Cette sélection d'une seule femme pour faire partie du boys club (en l'occurrence blanche et, pour l'essentiel, mater dolorosa) est à double tranchant : non seulement ce choix s'opère à l'exclusion des autres femmes, mais il s'agit bien d'une femme que le boys club semble prêt, malgré tout, à sacrifier : personne ne l'arrête quand elle entreprend de retirer la combinaison qui doit la protéger ; personne ne s'élance derrière elle au moment où elle se met à courir en direction du vaisseau qui va l'avaler.

L'héroïne de Villeneuve est une femme qui doit chercher à comprendre la langue parlée par ces aliens-tétrapodes étrangers à la manière des mères qui oeuvrent à décoder les pleurs et les babillements de leurs bébés, ou d'une Dian Fossey communiquant avec les grands singes. Louise Banks est la femme qui sait danser avec les tétrapodes (énième version d'extraterrestres en méduses tentaculaires), habile communicatrice et proche parente du monde animalier. Au fond, l'héroïne est à l'image de l'oiseau en cage que les membres de l'équipe traînent avec eux dans le vaisseau spatial pour voir si ces conditions de vie vont lui permettre de continuer à chanter.

La trame du film de Villeneuve se défait progressivement, sa linéarité démontée au fil des séquences.

Mais ce qui, malheureusement, ne se défait pas, c'est l'éternel scénario masculin, blanc et hétérosexuel.

D'une part, le film échoue au test de Bechdel puisque l'héroïne n'a aucune interlocutrice hormis sa petite fille, avec qui il n'est question que de son père. D'autre part, l'aventure qui sous-tend Arrival a quelque chose d'un sauvetage de Blancs, cette collectivité qui renvoie à la « race supérieure » mentionnée par le commandant de l'équipe et qui a éradiqué les autochtones d'Australie. Ce syntagme - « race supérieure » - tombe au milieu du film comme une épée de Damoclès, tout comme le rôle joué par la Chine dans l'intrigue : c'est le pays (quelle surprise) qui menace de tout faire sauter.

Ainsi s'opère le retour du refoulé Donald Trump, et sa xénophobie, que j'étais parvenue pendant un moment à oublier. La paroi transparente qui sépare les humains des aliens, dans le vaisseau spatial, n'est pas sans rappeler le mur que Trump se propose d'ériger entre le Mexique et les États-Unis. Mais les aliens ne sont pas ceux qu'il croit. Le véritable alien, c'est bien lui, un alien avec qui il ne sert à rien de chercher à communiquer. Un alien qui ne mérite pas qu'on lui fasse confiance, d'aucune manière, et surtout pas quand on est une femme, à l'image de toutes celles qui ont voté pour lui, ces femmes blanches qui ont participé au clivage du pays plutôt que de se placer du côté de leurs soeurs.