Contrairement à certaines idées reçues, augmenter le salaire minimum de manière arbitraire à 15 $ l'heure pour améliorer la condition des personnes à bas revenu provoquera des effets collatéraux plus négatifs que positifs, susceptibles de nuire à ceux dont on espère améliorer le sort.

En effet, ce que beaucoup ne veulent pas voir, c'est le revers de la médaille du 15 $ l'heure.

Les différentes études réalisées sur l'impact d'une augmentation accélérée concluent toutes, à des degrés divers, à des risques de pertes d'emplois et de réduction des heures travaillées, et donc, à une augmentation de la précarité.

Mais ce n'est pas tout. Quels que soient les scénarios d'augmentation, une hausse accélérée du salaire minimum mène à une augmentation éphémère du revenu disponible des ménages, qui s'estompe par la suite en raison d'une diminution du pouvoir d'achat et de l'épargne pour l'ensemble des ménages québécois.

Ce phénomène est le résultat de l'effet combiné d'autres variables socioéconomiques sur lesquelles influe la courbe du salaire minimum. D'ailleurs, quand on pose la question aux entreprises ayant des employés au salaire minimum sur leur réaction face à un salaire à 15 $ l'heure, 62 % prévoient une augmentation des prix et tarifs, 40 % des mises à pied, et 35 % un ajustement de l'ensemble des échelles salariales de l'entreprise. C'est précisément ce que vient de démontrer, hors de tout doute, la plus récente étude économique faite sur le sujet qui utilise les données réelles depuis plus de 18 ans.

L'économie est un système aux variables interdépendantes et en adaptation constante.

Avant de présumer des bénéfices automatiques d'une hausse arbitraire du salaire minimum à 15 $ l'heure, il faut reconnaître avec honnêteté que l'enjeu central concerne surtout le rythme de croissance et la productivité de notre économie, de qui dépend le rythme de progression du salaire moyen, sur la base duquel est calculé le salaire minimum.

Depuis le début des années 2000, le ratio entre le salaire minimum et le salaire moyen se situe ainsi autour de 45 %, seuil au-delà duquel la réaction en chaîne décrite ci-haut se crée.

Une hausse supérieure du salaire minimum, qui ne serait pas basée sur un tel ratio, viendrait rompre un équilibre global du marché du travail déjà fragile, particulièrement dans le commerce de détail, la restauration et l'agroalimentaire, déjà mis au défi par l'économie numérique et la concurrence internationale, avec un effet radioactif sur d'autres secteurs interreliés.

Promettre des lendemains meilleurs à 15 $ l'heure sous prétexte que le revenu disponible des ménages augmentera est faux. Bien qu'il puisse y avoir en effet quelques gagnants, on court le risque d'engendrer une diminution du pouvoir d'achat pour l'ensemble des ménages québécois, en plus d'exclure d'emblée des travailleurs moins qualifiés du marché du travail, en érigeant pour eux une barrière à l'entrée. Les personnes sans emploi, elles, verront croître leur précarité face à l'augmentation du coût de la vie.

Au final, on aura fait entrer un éléphant dans un magasin de porcelaine : on paye collectivement pour la casse, les entreprises ramassent le bill, les contribuables, les pots cassés, tout ça pour quoi ?

Qu'on ne se méprenne pas ici. Nous sommes tous contre la pauvreté. Mais la question qui devrait nous animer collectivement est la suivante : hausser le salaire minimum de manière arbitraire à 15 $ l'heure est-il le bon levier dans le contexte économique et fiscal québécois ?

Personne ne dit que de travailler au salaire minimum, même après des transferts sociaux et fiscaux, c'est la panacée. Par contre, on a le devoir moral de reconnaître qu'au Québec, la situation des personnes à bas revenu, particulièrement avec enfant(s), est prise au sérieux et progresse, grâce notamment aux politiques familiales, même s'il reste du chemin à faire. Il faut encourager les réflexes et la culture de l'empathie qui est la nôtre au Québec, et continuer sans relâche de prévenir les risques de précarité en aidant les personnes en difficulté.

En outre, il faut revenir sans relâche sur l'importance de l'éducation et de l'emploi comme véhicules d'ascension sociale. Ça commence avec l'instruction, la persévérance et la réussite éducative dès le plus jeune âge, et ça passe par la formation et le développement des compétences. Ensuite, il faut savoir reconnaître la valeur des transferts sociaux et fiscaux comme facteurs de rééquilibrage. Mais pour redistribuer de la richesse, il faut d'abord la créer !

* David Lemire, président de l'Association des producteurs de fraises et framboises du Québec ; Yves Servais, directeur général de l'Association des marchands dépanneurs et épiciers du Québec ; Jean-Marie Rainville, premier vice-président de l'Association des producteurs maraîchers du Québec ; Gervais Bisson, représentant de l'Association professionnelle des employeurs de la coiffure du Québec ; Alain Mailhot, PDG, Association des restaurateurs du Québec ; Benoit Sirard, président du conseil d'administration de l'Association hôtellerie Québec ;  Michel Gadbois, président de l'Association québécoise des dépanneurs en alimentation ; Diane J. Brisebois, présidente et directrice générale du Conseil canadien du commerce de détail ; Léopold Turgeon, président-directeur général du Conseil québécois du commerce de détail ; Sylvie Cloutier, présidente-directrice générale du Conseil de la transformation alimentaire du Québec ; Martine Hébert, vice-présidente principale et porte-parole nationale de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante et Marc Plourde, président-directeur général de la Fédération des pourvoiries du Québec.