Quelques jours après son élection à la présidence des États-Unis, Donald Trump a réaffirmé, dans une entrevue, sa volonté de nommer à la Cour suprême des juges opposés à l'avortement.

Dans un sens, cette sortie est assez surprenante tellement il semblait évident que la conversion pro-vie du candidat républicain tenait davantage de la basse manoeuvre de séduction auprès de l'électorat chrétien que du témoignage de convictions profondes.

Ainsi, les résultats du scrutin représentent-ils un triomphe retentissant pour le mouvement pro-vie ? À première vue, on pourrait le croire, car même si la nomination de juges ultraconservateurs ne mènera pas directement à une recriminalisation complète de l'avortement à l'échelle nationale, elle facilitera l'élaboration, par certains États, de projets de loi passablement agressifs en cette matière.

Pourtant, certains membres de la mouvance pro-vie sont loin de célébrer. C'est le cas de Charles C. Camosy, collaborateur au site d'information religieuse Crux. Ce dernier commence par souligner, à juste titre, que la « vie » ne se résume pas à celle du foetus, et donc que la défendre ne se limite pas à lutter contre la pratique de l'avortement.

Or, pour tous ceux qui considèrent que la paix dans le monde, l'intégration des immigrants, la tolérance et autres enjeux de justice sociale constituent également des « questions de vie ou de mort », la soirée du 8 novembre dernier fut assez affligeante. Il suffit de souligner que, dans certains États, le recours à la peine de mort a bénéficié d'un appui massif ce soir-là.

Mais c'est l'élection même de Donald Trump à la présidence qui attriste le plus le journaliste catholique. Pourquoi ? Parce que ce dernier fera assurément reculer le mouvement pro-vie de plusieurs décennies, freinant le renouvellement de son image et de son approche.

Pour comprendre l'inquiétude de Camosy, il faut savoir qu'une frange non majoritaire, mais significative du mouvement pro-vie est aujourd'hui l'affaire de jeunes, principalement issus de minorités culturelles, et même de quelques féministes choquées par la banalisation d'une pratique qui reste tout sauf bénigne. En d'autres mots, un changement de positionnement serait en cours dans le mouvement, en raison de l'apport d'une nouvelle génération un peu moins portée sur les offensives juridiques, davantage sur un travail d'éducation conséquent suivi par un appel aux consciences.

C'est cette nécessaire inflexion que menace le président désigné Trump. Car sur son option pro-vie dégouline un épais vernis de misogynie, de racisme, d'ignorance et d'intolérance. Et ce vernis est justement celui qui recouvre l'image du mouvement pro-vie depuis belle lurette. Bref, Trump risque d'emprisonner ce dernier dans la caricature que l'on fait de lui, contrariant son élan pour transcender un type d'activisme peu prometteur pour l'avenir, si l'on prend au sérieux les mutations culturelles des dernières décennies.

À cette sombre rumination de Camosy, j'ajouterais que parfois, une victoire prépare paradoxalement la débâcle.

Dans le cas de l'avortement, si jamais des lois restreignant sévèrement son accès étaient votées et appliquées au cours de la présidence de Trump, des réactions extrêmement vives des groupes pro-choix sont à prévoir. 

Nous assisterions alors à une recrudescence de l'approche polémique de la part des deux camps, ce qui n'augurerait évidemment rien de bon pour le débat sur cette problématique si sensible. Et il serait alors tout à fait étonnant que le mouvement pro-vie sorte victorieux d'un face-à-face se déroulant sous les feux de l'opinion publique américaine. En effet, selon un récent sondage de l'Institut Pew, celle-ci n'a jamais été aussi favorable (59 %) à la pratique légale de l'avortement.