Les sceptiques seront au rendez-vous lorsque le Parlement du Canada accueillera 21 sénateurs et sénatrices nommés dans le cadre d'un processus de sélection entièrement non partisan et fondé sur le mérite.

À tort ou à raison, le public fait généralement preuve d'une bonne dose de méfiance lorsqu'il est question du Sénat. Cela dit, j'invite tous les Canadiens qui auraient comme réflexe naturel de douter de l'indépendance de ces 21 nouveaux sénateurs à étudier leurs feuilles de route. Pas un seul d'entre eux n'est un politicien de carrière, un bailleur de fonds ou un proche du Parti libéral du Canada. Nul n'a été choisi en fonction d'une affiliation politique et, pour la première fois en 150 ans, un grand nombre de sièges au Sénat (44 sur 105, pour être exact) seront occupée par des parlementaires indépendants.

Le Sénat doit reconnaître cette occasion et la saisir.

Le public canadien ne devrait pas se laisser leurrer par ceux qui maintiennent que l'approche non partisane qu'a adoptée le gouvernement constitue un abandon des principes originels du système parlementaire canadien. Dans les faits, en retirant les considérations partisanes du processus de sélection des sénateurs, le premier ministre a plutôt entamé un retour aux sources.

Le plus haut tribunal du pays a fréquemment identifié l'indépendance sénatoriale comme pierre angulaire de notre Chambre haute. En 1979, la Cour suprême a expliqué que les architectes de la Confédération voulaient créer « un organisme tout à fait indépendant qui pourrait revoir avec impartialité les mesures adoptées par la Chambre des communes ».

En 2014, les juges ont ajouté que l'un des objectifs du pacte originel du Canada était de soustraire le Sénat au processus électoral auquel participaient les députés de la Chambre des communes, afin d'écarter les sénateurs d'une arène politique partisane.

Bref, l'objectif même d'un Sénat nommé plutôt qu'élu était d'assurer que les sénateurs étudieraient les projets de loi selon leurs mérites en toute indépendance, pas en fonction de positions préprogrammées par un leadership partisan.

Malheureusement, cet idéal a trop souvent été compromis par des nominations politiques, la partisanerie excessive et les ingérences de l'administration d'anciens premiers ministres du Canada. Les contraintes imposées par la discipline de parti sont tout à fait incompatibles avec le rôle que devait jouer dans notre système parlementaire un Sénat nommé, plutôt qu'élu.

Voilà pourquoi, en remerciant tous les sénateurs libéraux du caucus national du Parti libéral et en instaurant un nouveau processus de sélection entièrement non partisan, Justin Trudeau a renoncé à un levier important de son propre pouvoir. En prenant l'initiative, ce dernier a agi pour rétablir la confiance et l'estime du public à l'endroit du Sénat ; il incombe maintenant au Sénat de continuer le travail.

ACCÉLÉRER LES RÉFORMES

Des initiatives constructives de réforme sont en cours au sein du Sénat, mais elles doivent progresser à un rythme plus rapide. Cela implique de conférer aux sénateurs indépendants les mêmes droits et les mêmes ressources qu'aux sénateurs siégeant toujours sous les bannières libérale et conservatrice.

À l'heure actuelle, il existe deux classes inégales de sénateurs à la Chambre haute : les partisans et les indépendants. Les sénateurs indépendants sont sous-représentés au sein des comités sénatoriaux et grossièrement sous-financés par rapport aux sénateurs affiliés à un parti.

Le statu quo est injuste et inéquitable pour les sénateurs indépendants.

Cette situation présente cependant une occasion pour chacun des leaders au Sénat, qu'il soit libéral, conservateur ou indépendant, de se montrer sous son meilleur jour en partageant les instruments de politique publique de la Chambre haute avec ses nouveaux collègues.

Le gouvernement a fait preuve de leadership en respectant tous ses engagements relativement au Sénat. Le temps est venu pour le Sénat d'en faire preuve à son tour.