2009. Année où j'ai commencé à pratiquer la chirurgie générale à Sept-Îles.

Lorsque je voyais une femme de 44 ans avec un cancer du sein, je pouvais, seulement quelques jours après son diagnostic, prévoir sa chirurgie sur ma prochaine priorité opératoire, habituellement à l'intérieur de deux semaines.

Le jour de la chirurgie, les techniciens de laboratoire s'occupaient à faire toutes les manipulations nécessaires afin que le pathologiste puisse en faire la lecture et me rendre un rapport rapidement.

En moins de deux semaines, je revoyais la dame pour déterminer la suite de ses traitements.

De 2009 à 2011, le pathologiste était sur place, nous avions un service hors pair.

Par la suite, nous sommes devenus pionniers en télépathologie. D'excellents pathologistes de Rimouski ou de Baie-Comeau travaillaient de concert avec nos excellents techniciens de laboratoire afin de nous rendre rapidement un rapport de grande qualité. Advenant la nécessité d'une précision clinique, je n'avais qu'à téléphoner au pathologiste et discuter du cas.

TRANSPORTONS-NOUS MAINTENANT EN 2016...

Je vois la même patiente pour son cancer du sein, tout aussi rapidement. Je lui mentionne que je vais l'opérer le plus rapidement possible. Mais attention : je devrai traverser vents et marées pour tenir ma promesse.

En 2016, je ne peux opérer les cancers du sein que les lundis ou mardis, parce que l'analyse se fait désormais en Ontario dans un laboratoire de pathologie privé, et les délais d'envoi nous limitent dans les journées opératoires. De plus, la tumeur doit quitter le laboratoire à 14 h maximum, puisque c'est l'heure à laquelle le transporteur passe à l'hôpital.

Pour opérer un cancer du sein, nous avons souvent besoin d'un guide métallique en radiologie et d'un produit radioactif fourni par la médecine nucléaire. Le personnel doit donc être disponible ce jour-là et travailler vite, car tout doit être fini pour 14 h, peu importe la difficulté ou le nombre de cas.

Par ailleurs, les délais d'analyse sont complètement démesurés : environ cinq semaines pour des résultats complets nous permettant de prévoir le plan thérapeutique.

Inacceptable pour une patiente qui a généralement été observée quelques semaines avant de voir le chirurgien, qui subit un délai de quatre semaines avant d'être opérée et qui doit en plus attendre de cinq à huit semaines avant de savoir si elle devra ou non subir de la chimiothérapie, sans compter l'effet néfaste qu'un tel délai peut potentiellement avoir sur le cancer lui-même.

Pour ajouter à l'ironie de la situation, si une précision ou des analyses supplémentaires sont nécessaires, nos techniciens, unilingues français, n'arrivent pas à recevoir du service dans leur langue. Une vraie jungle.

MIRACLE !

Récemment, on nous annonce que tout est réglé, que nos analyses se feront désormais au Québec dans un centre de référence dont je vais taire l'identité. Mais attention, ce n'est pas si simple !

Le laboratoire de cet hôpital refuse que nos techniciens fassent les manipulations nécessaires sur les spécimens, ces mêmes manipulations qu'ils faisaient très bien auparavant, et donc nous limite encore à opérer les lundis et mardis, le transport se faisant toujours avant 14 h.

De surcroît, les administrateurs qui ont signé cette entente ont déterminé qu'ils nous permettraient d'opérer deux cancers du sein par semaine dans toute la Côte-Nord (Baie-Comeau et Sept-Îles). Juste à Sept-Îles, nous opérons une trentaine de cancers du sein par année, en plus de tous les cas de maladie bénigne du sein.

C'est presque comme nous demander d'opérer seulement les cancers du sein quand Saturne est en ligne avec Mars, que Vénus inverse son transit et que c'est la pleine lune. La réponse des administrateurs ? Ils vont se pencher sur la grande incidence de cancers du sein dans la région. C'est plutôt inquiétant...

L'été dernier, alors que les priorités opératoires se faisaient rares (une à deux par mois), j'avais prévu opérer quatre cancers du sein, toutes des femmes dans l'angoisse qu'impose la maladie. La veille de la chirurgie, à 15 h 30, on m'annonce qu'on ne peut opérer ces cas, car aucun pathologiste n'est disponible dans la province pour analyser les tumeurs.

J'ai protesté comme j'ai pu, mais le chirurgien, bien que très grand dans l'oeil de son patient, est bien petit dans l'oeil de l'administrateur.

Cet après-midi-là, à 16 h, trois femmes se sont fait appeler à la maison pour leur annoncer que leur chirurgie était remise trois semaines plus tard. J'ai réussi à opérer la quatrième, une dame très âgée originaire de la Basse-Côte-Nord et qui avait déjà pris l'avion pour venir à sa chirurgie.

J'ai téléphoné aux patientes, leur expliquant que c'était hors de mon contrôle, répondant à leurs réactions, tantôt de colère, tantôt de désespoir. Je leur ai demandé de porter plainte pour la détresse psychologique qu'une telle annonce entraîne. Une d'entre elles l'a fait. Sa plainte a été rejetée, sous le prétexte que, de toute façon, elle allait être opérée dans les « délais oncologiques prescrits ».

Vous savez, ces délais dont le ministre se plaît à annoncer qu'ils sont respectés malgré les coupes qui ne touchent pas les services aux patients ?

Quelle farce ! Et nous en sommes les dindons...