C'est un véritable miracle que l'accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne soit encore sur le respirateur artificiel. En effet, à travers le monde, la majorité de la population éprouve un certain scepticisme à l'égard du modèle de néolibéralisme qui mise notamment sur le commerce international et le concept du village global.

En Europe, c'est pire. Depuis le Brexit du mois de juin dernier, il est extrêmement difficile de voir comment un accord d'une telle envergure pourrait recevoir l'aval d'un continent qui est en train de s'entredéchirer.

Même avant le référendum dramatique du Royaume-Uni, le panorama socioéconomique européen n'était pas évident. Plusieurs pays tels que la Grèce, l'Espagne et l'Italie éprouvent encore d'importantes difficultés financières et les réformes monétaires pour soutenir l'euro ne cessent de se succéder. L'an dernier, la crise des réfugiés syriens n'a rien fait pour amoindrir les tensions qui prévalent à travers le continent. À cet effet, la gouvernance de l'union est aussi complexe qu'éreintante.

En effet, en ce qui concerne l'accord Canada-Union européenne, il n'y a pas moins de 38 juridictions régionales qui ont un droit de veto. Bien sûr, seule la Wallonie s'oppose à l'accord en exprimant ses inquiétudes à l'égard des importations de denrées agricoles canadiennes, notamment le boeuf et le porc.

Quant au Canada, il ne semble pas saisir à quel point, en Europe, l'économie agroalimentaire est différente de la nôtre et très régionalisée, contrairement à chez nous.

D'ailleurs, plusieurs produits alimentaires peuvent se retrouver sur les rayons de nos supermarchés d'un océan à l'autre, alors qu'en Europe, les traditions culinaires qui datent de plusieurs millénaires sont ancrées dans les moeurs des consommateurs. Les méthodes de production artisanales sont une source de fierté qui détonne avec les principes d'économie d'échelle que l'on retrouve beaucoup sur le continent nord-américain.

En Europe, il y a aussi la perception des risques qui est différente. Sur le Vieux Continent, alors que les oeufs et le fromage frais au lait cru sont laissés durant des heures sur le comptoir, la méfiance pour les semences génétiquement modifiées est encore présente. Un non-sens pour les Canadiens. Aussi, étant donné l'espace abondant et les coûts énergétiques moins élevés, tout est mis dans un congélateur ou un réfrigérateur dans le but d'obtenir une meilleure protection. La logistique derrière notre cuisine est devenue tout à fait secondaire.

ACHAT LOCAL AU QUOTIDIEN

À l'opposé, en Europe, c'est la naturalisation des aliments et des coutumes qui prédomine. De nombreux Européens ont un réfrigérateur qui est presque de la même dimension qu'un four à micro-ondes et l'achat local s'effectue chaque jour à différents points de service. Cette pratique est devenue une habitude pour beaucoup. Bref, c'est le jour et la nuit, alors il n'est pas surprenant que certains soient mal à l'aise avec un accord entre les deux continents.

Or, le plus récent délai imposé par la Belgique et les Wallons n'a rien à voir avec le Canada. L'image et la réputation de l'Europe dépendent de cet accord. Dans ce dossier, le Canada n'est qu'un acteur insignifiant, comparativement aux États-Unis. Pour l'Europe, c'est peut-être sa dernière chance de montrer qu'elle est en mesure de s'organiser. Puis, sur le plan économique, le Canada représentera un marché intéressant pour quelques filières européennes qui ont des stocks de produits élevés en raison des embargos russes des dernières années.

Par ailleurs, l'accord canado-européen est d'une importance capitale pour le Canada. En effet, pour les filières bovines et porcines, les occasions sont réelles. Mais, pour ce qui est du système de quotas et de tarifs douaniers exorbitants et de la gestion de l'offre, l'accord symbolisait le début d'une nouvelle ère.

Si on ouvre nos frontières à des fromages fins européens, notre filière laitière devra redéfinir et établir une nouvelle feuille de route afin d'assurer son avenir. D'ailleurs, certains transformateurs tels que Saputo, Agropur et même Gay Lea, en Ontario, ont déjà ajusté leur stratégie en raison de la ratification éventuelle de l'accord. Quant à la production, c'est pratiquement l'inertie, et les producteurs s'inquiètent. Une réforme de la gestion de l'offre, qui mise sur une compétitivité accrue, soutiendrait davantage le secteur, et l'accord canado-européen est le motif dont les producteurs ont besoin.

Ainsi, il ne faut pas oublier que, derrière les réalités alambiquées du secteur agroalimentaire, se trouvent les acteurs qui représentent les deux camps. L'intransigeance et surtout l'inexpérience du gouvernement Trudeau à titre de négociateur d'accord commercial crèvent les yeux et il devient primordial qu'une ratification de l'accord amène une nouvelle approche.