Médiatisées, les histoires à caractère sexuel suscitent une impression trouble dans l'opinion publique. Dénoncé par plusieurs femmes, le comportement libidineux de Donald Trump est même devenu un enjeu électoral important dans la présidentielle américaine.

La stupéfiante sortie publique d'une jeune femme, Alice Paquet, qui aurait été agressée sexuellement deux fois par le député libéral Gerry Sklavounos, nourrit une joute politique acerbe à l'Assemblée nationale.

L'enchaînement des déclarations contradictoires de la plaignante justifie une prudente méfiance. De surcroît, un quotidien (Le Journal de Montréal) rapporte la participation d'Alice Paquet à une conférence sur la prostitution en mars 2016. Celle-ci aurait été présentée comme « étudiante au cégep F.-X. Garneau et ex-prostituée ».

Sous la tutelle de l'émotion, les médias nous éloignent de la justice.

Le recours à l'humeur populaire devient pernicieux lorsqu'il accrédite l'idée que l'opinion publique serait un meilleur juge. Quelle que soit la gravité des crimes allégués, la justice ne peut jamais escamoter l'application régulière de la loi.

Tout citoyen (plaignant ou suspect) doit être traité équitablement. Permettre à l'opinion publique d'influencer l'administration de la justice, c'est écorner l'équité et la légitimité de notre système pénal.

L'apaisement recherché dans la vengeance est une illusion. Quelle que soit l'horreur du crime, le droit répressif n'a pas vocation d'être revanchard. À propos de cas individuels posant problème, selon l'énoncé de la loi, le juge attribue son dû à chacun. De cette façon, il sanctionne le tort et rend justice.

La cohabitation justice-médias fait voir un perpétuel réglage de poids et contrepoids, d'actions et de réactions. Juxtaposée à l'exigence d'une justice équitable, la protection de la vie privée et de la réputation des acteurs d'une affaire juteuse devrait-elle pâtir ? Bien sûr que non.

L'acte de juger implique une analyse, parfois longue et minutieuse, dans un climat de sérénité. Au contraire, la démarche journalistique, sous la pression de l'événement, s'affaire davantage à exposer rondement les faits. Certains y voient parfois un exercice de brutalité médiatique.

Par un curieux paradoxe, l'exercice de la liberté d'expression aboutit souvent à l'agression de la vie privée ou de l'innocence juridiquement présumée.

La justice idéale devrait permettre de punir sur-le-champ les coupables tout en épargnant les innocents. Cependant, cet idéal s'effrite devant la réalité du traitement des affaires judiciaires.

CRÉDIBILITÉ DÉCISIVE

S'agissant d'agression sexuelle, la crédibilité d'une plaignante est décisive. C'est le juge des faits - et lui seul - qui peut apprécier la fiabilité d'un témoignage. Cet exercice doit intervenir au terme d'un débat contradictoire.

La fiabilité d'un récit implique que la priorité soit accordée aux faits précis et contrôlables, plutôt qu'aux informations vagues ou aux affirmations partiales. La règle du bon sens oblige à tenir compte des forces et des faiblesses caractérisant les témoignages rendus dans une affaire donnée.

Certes, la déposition d'un témoin peut contenir des contradictions, tout en demeurant crédible. Mais cette crédibilité est inversement proportionnelle au nombre et à l'importance des contradictions et des informations occultées avant et pendant le procès.

Animé par le principe de précaution, le processus d'enquête policière et de mise en accusation procède avec lenteur. Cette retenue favorise l'équité du procès et diminue la possibilité d'erreur judiciaire.

Chacun sait en effet que les accusés ont peu d'amis et les victimes beaucoup.

Face au feu roulant du monde de l'information, il y a discordance entre le temps judiciaire et le temps médiatique. Condamner hâtivement un citoyen sur la foi de soupçons et d'empathie pour les victimes d'agressions sexuelles relève de l'injustice.

Le respect de la procédure est la moralité interne du jeu légal. La liberté d'un accusé importe davantage que le droit du public de contempler sa souffrance ou la détresse d'une victime.

La règle du doute raisonnable reconnaît la possibilité que des témoins puissent être sincères, sans toutefois que leur déposition soit suffisante pour établir la culpabilité.

Le poursuivant n'a pas de cause à gagner... ni à perdre. Au terme d'une enquête policière, un procureur pose un regard critique sur le rapport d'investigation.

Après examen de la preuve colligée, y compris celle susceptible d'étayer des moyens de défense, le procureur doit moralement être convaincu qu'une infraction fut commise. Il doit aussi être raisonnablement convaincu de pouvoir établir la culpabilité du prévenu.

La décision de poursuivre ou non une plainte d'agression sexuelle à l'encontre d'un parlementaire peut socialement avoir de lourdes répercussions. Cette réalité n'échappe pas à l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'inculper.

Dans l'hypothèse d'un procès, s'agissant d'apprécier la crédibilité des témoins, le juge des faits devra prendre en considération tous les éléments révélés par l'ensemble de la preuve administrée.

Le Code criminel ne vise pas les aspects les plus sympathiques de la vie. Il ne s'adresse habituellement pas à des modèles de vertu. Malheureusement, il arrive qu'un suspect ou un accusé innocent soit pris dans ses filets, comme les tribunaux l'ont quelquefois reconnu.

Sans égard à l'identité de l'inculpé et à la nature des accusations, le droit criminel et la Charte canadienne des droits ont défini des principes, des règles et des normes procédurales encadrant le fonctionnement de la justice pénale.

N'en déplaise aux partisans de la justice médiatique politisée, l'affaire Paquet-Sklavounos devra suivre la voie judiciaire en conformité de la loi.

Image fournie par Radio-Canada

« Un quotidien rapporte la participation d'Alice Paquet à une conférence sur la prostitution en mars 2016. Celle-ci aurait été présentée comme "étudiante au cégep F.-X. Garneau et ex-prostituée », écrit l'auteur.