Quand l'ancien maire de New York, Rudy Giuliani, trouve Donald Trump génial d'avoir évité pendant 18 ans de payer sa juste part du fardeau fiscal, il exprime ces idées antiétatiques bien ancrées chez une bonne partie de l'électorat républicain. Chacun pour soi et pas de pitié pour ceux qui ont été moins choyés par la vie. Ce néolibéralisme extrême est une version édulcorée du darwinisme social qui faisait école dans l'Angleterre victorienne.

Quand j'étais étudiant au baccalauréat en biologie, j'ai découvert cette théorie cogitée par Charles Darwin, qui veut que les espèces soient dans une constante lutte pour la survie de leurs gènes. Une arène naturelle dans laquelle les plus faibles devaient disparaître et les plus forts prendre toute la place et se reproduire. 

Partant de cette compréhension tendancieuse de la pensée de Darwin, un sociologue et philosophe britannique nommé Herber Spencer (1820 - 1903) inventa au milieu du XIXe siècle le darwinisme social. Une doctrine économique inspirée de la théorie de l'évolution et qui professait que la compétition entre les humains devait améliorer les sociétés en les poussant naturellement vers une forme d'élitisme. 

Autrement dit, ce qui est valable pour les animaux l'est tout autant pour l'humain. Il défendait bec et ongles qu'avoir des programmes sociaux pour aider les plus vulnérables, ou des structures organisationnelles pour les protéger, était contre nature. Ce n'était pas, pensait-il, le rôle d'un État d'essayer de sauver ceux qui sont biologiquement condamnés par la nature. 

Bref, il recommandait le même cannibalisme social qui semble aujourd'hui inspirer la droite antiétatique américaine qui félicite Donald Trump d'avoir esquivé le fisc.

Ironiquement, une des figures de proue qui poussera cette discrimination systémique à son plus haut niveau est un cousin de Charles Darwin nommé Francis Galton. Pourquoi ne pas donner un coup de main à la nature en contrôlant la reproduction des plus faibles ? proposa Galton, chef de file des eugénistes. 

Plus pragmatiques que les darwinistes sociaux, les eugénistes ne conseillaient aux gouvernements rien de moins que de stériliser les plus vulnérables, ou alors de les empêcher de polluer le patrimoine génétique des élites en procréant avec les classes supérieures. 

Parmi les penseurs de la pureté des races et du laisser-crever ceux qu'on considérait comme la populace, il y avait deux médecins français nobélisés : Alexis Carrel et Charles Richet qui préconisait le gazage des délinquants et des malades mentaux. Comme quoi gagner le Nobel ne fait pas la noblesse des idées. De toute façon, il ne faut pas oublier que même si les prix portant son nom récompensent aujourd'hui des bienfaiteurs de l'humanité, Alfred Nobel demeure le chimiste qui a inventé la dynamite.

Si Francis Galton a créé l'eugénisme en Angleterre, ce sont les Français qui l'ont en grande partie théorisé, et les Américains et les Danois qui l'ont mis en application dans des programmes massifs de stérilisation des déficients intellectuels, des handicapés, des pauvres et de bien d'autres vulnérables qu'on disait déjà condamnés par la nature.

En Allemagne, c'est en 1933 que la loi eugéniste a été décrétée par le pouvoir nazi. Au début, le programme tablait surtout sur la stérilisation de patients atteints de maladies, incluant la débilité mentale, l'épilepsie, l'alcoolisme ou la schizophrénie, etc. Son extension aux populations juives a été inspirée à Hitler en grande partie par les travaux d'un médecin eugéniste nommé Otmar Von Verschuer qu'on disait spécialiste de l'hérédité et de l'hygiène raciale. 

Dans ses « pseudo-recherches » consacrées à la débilité mentale, Verschuer, également directeur de l'Institut d'anthropologie et d'hérédité humaine de Berlin, avait rapporté que les juifs d'Europe centrale étaient atteints de maladies mentales dans une proportion de deux à trois fois plus élevée que les autres habitants de cette région. 

Une fausse et idéologique conclusion reconnue parmi les prétextes qui légitimeront les politiques racistes, antisémites et génocidaires du Troisième Reich, qui continuent de traumatiser l'humanité encore aujourd'hui.

L'antiétatisme est à mon avis une forme de darwinisme social et il chemine aussi main dans la main avec la violence et l'instabilité. D'ailleurs, les signes annonciateurs sont bien présents dans la population américaine. Mais aujourd'hui, ce ne sont pas les vulnérables qui y sont séquestrés, mais les riches qui s'y enferment dans des prisons dorées appelées « gated communities ». 

Ajoutez à cette réalité le fait qu'une bonne partie de la population ne croit plus à la police chargée de faire régner la loi et l'ordre, à cause de discriminations qui semblent tirer leur origine des théories de hiérarchie raciale d'Herber Spencer, et le chaos et l'implosion sociale ne sont pas très loin derrière.