Les discussions entourant la possibilité que le gouvernement fédéral mette bientôt fin au programme des Obligations d'épargne du Canada me rappellent beaucoup celles reliées au retrait de la pièce de 1 cent.

Durant la décennie qui a précédé l'annonce de cette décision en 2012, quelques études de qualité avaient clairement conclu qu'il était temps que le gouvernement cesse de produire et de distribuer cette pièce de monnaie. Les Canadiens l'utilisaient de moins en moins et ils l'accumulaient plutôt à la maison dans des pots, notamment en raison de son très faible pouvoir d'achat. 

Plus les Canadiens l'accumulaient, plus la Monnaie royale canadienne en produisait. Pour l'ensemble des Canadiens (particuliers, détaillants, institutions financières et le gouvernement), cela représentait un coût annuel de plus de 130 millions pour quelque chose qui était de moins en moins utile. En 2012, le gouvernement s'est dit qu'il était temps de cesser ce gaspillage. De fait, selon de nombreux critères reliés à la gestion des pièces de monnaie et des billets de banque, cette décision aurait dû être prise 10 ans ou même 20 ans plus tôt.

Il est donc tout à fait légitime de se demander aujourd'hui pourquoi le gouvernement a attendu si longtemps avant de prendre une telle décision.

En rétrospective, on peut dire que ce retard était grandement lié à des raisons politiques, dont celle de ne pas déplaire à certains groupes de citoyens souvent mal renseignés par le gouvernement lui-même sur le pourquoi et sur les conséquences de ce retrait.

Un des points communs entre les Obligations d'épargne du Canada et la pièce de 1 cent est que depuis plusieurs décennies, les Canadiens utilisent de moins en moins ce service gouvernemental pour y investir leurs épargnes. L'encours de ces obligations qui était de 55 milliards en 1987 est en forte baisse depuis les 30 dernières années : il n'est maintenant que de 5,5 milliards.

Le pourcentage des frais administratifs annuels sur l'encours de ces titres suit une tendance à la hausse et dépasse de plus en plus, et de beaucoup, les frais reliés à l'émission d'obligations directement dans les marchés financiers. Tout ça fait en sorte que les rendements sur les Obligations d'épargne n'incitent aucunement les épargnants canadiens à investir dans ces titres gouvernementaux.

De fait, ils préfèrent faire affaire avec les institutions financières qui leur offrent une très large panoplie de titres financiers (à diverses échéances et ayant divers niveaux de risque). Certains de ces actifs financiers sont garantis par la Société d'assurance-dépôts du Canada et sont donc tout aussi sécuritaires que les Obligations d'épargne du Canada. De leur côté, les institutions financières préfèrent de beaucoup faire mousser la vente de leurs produits que celle des Obligations d'épargne du Canada. En somme, l'évolution de la technologie et des marchés financiers a relayé aux oubliettes les Obligations d'épargne du Canada.

Paul Martin a tenté en 1997 de relancer ce programme au lieu d'y mettre fin ; il a créé Placement Épargne Canada qui a dépensé beaucoup et modernisé certains aspects de ce programme. Mais peine perdue : la baisse de l'encours s'est poursuivie. En 2007, le gouvernement avait une autre occasion de mettre fin à ce programme, mais il a préféré le laisser vivoter. Il a continué de ne pas tenir compte de certaines études internes et externes. À l'été 2015, une étude très élaborée, commandée par Finances Canada, en venait à la même conclusion : « Il n'y a actuellement aucun motif économique valable qui justifie le programme. »

Avec les élections qui approchaient, le gouvernement a choisi de maintenir le statu quo : « Le ministère des Finances du Canada et la Banque du Canada continueront de chercher des économies en vue de réduire les coûts du programme tout en maintenant un niveau de service adéquat. » Le gouvernement parlait même de « l'intérêt persistant des Canadiens envers ce programme » alors que la baisse de l'encours se poursuivait.

On en revient donc, comme dans le cas du retrait de la pièce de 1 cent, à la mise de côté des arguments économiques pendant une longue période et à la volonté de ne pas déplaire à un certain groupe de citoyens, un groupe relativement petit, de plus en plus petit. Entre-temps, le parcomètre continue d'additionner les coûts de ce choix. Présentement, ce coût est de près de 60 millions par année. Les coûts totaux de ne pas avoir mis fin graduellement à ce programme dès 1997 et d'avoir créé Placements Épargne Canada, ou dès qu'on a pu percevoir l'échec de cet organisme, vont se situer entre 1 et 2 milliards.

J'espère que M. Morneau aura l'habileté et le courage politique démontrés par Jim Flaherty, qui a réussi à faire approuver le retrait de la pièce de 1 cent.

Pour ce qui est des turbulences engendrées par la fin graduelle de ce programme, je dirais qu'il risque d'y en avoir très peu, comme ce fut le cas en 2013 à la suite du retrait de la pièce de 1 cent, n'en déplaise à ceux qui prévoyaient de nombreux problèmes.