Mes collègues masculins, amateurs de comparaisons sportives, aiment bien analyser les débats politiques comme des matches de boxe, le gagnant étant celui qui aurait porté un knock-out à l'adversaire.

Cette métaphore ne s'applique presque jamais. Les politiciens qui briguent les plus hautes fonctions ne s'effondrent pas dans les câbles comme des boxeurs vaincus. Ils se sont entraînés trop longtemps pour se faire prendre au dépourvu et sont capables d'encaisser les coups sans perdre leur contenance.

J'ai couvert des débats politiques pendant plusieurs décennies et jusqu'à cette semaine, je n'avais jamais vu un candidat à une haute fonction se faire mettre K.-O. Il y avait des gagnants et des perdants, certes, mais personne ne sortait de là hors-jeu. La désignation du gagnant restait largement une question d'interprétation. Même la fameuse réplique de Brian Mulroney à John Turner en 1984 à propos des nominations de patronage (« Vous aviez le choix, vous auriez pu dire non ! ») n'a pas été si déterminante, car dans l'ensemble, Turner s'était bien défendu.

C'est lundi soir que j'ai vu, pour la première fois dans ma vie de journaliste politique, un vrai K.-O.

Durant toute la seconde moitié du débat, Donald Trump s'est graduellement écrasé, il s'est dégonflé comme une grosse baudruche crevée dont l'air sort peu à peu. Il est resté debout, mais il n'était plus là, et ce qu'il disait était du grand n'importe quoi.

Il continuait de renifler, de fulminer, d'interrompre son adversaire (50 fois en 90 minutes, a calculé un collègue), d'agiter les bras, de vociférer, de faire la moue comme un ado bougon. (Quand il se lance dans une phrase de plus de 10 mots, il prend un air appliqué et arrondit les pouces et les index en relevant les autres doigts, un geste précieux de vieille lady fort bizarre chez ce gros matamore.)

Une énormité n'attend pas l'autre. Il ne paie pas d'impôts fédéraux ? Ça prouve qu'il est « intelligent ». Il a tiré profit de la crise financière qui a jeté des millions d'Américains dans la rue ? Il en est fier : « It's just business. »

On l'accuse de sexisme, il répond que Rosie O'Donnell (?) « méritait » ses algarades et que oui, telle Miss Univers « méritait » qu'il l'appelle « Miss Piggy » parce qu'elle avait pris du poids. On parle de développement technologique, il dit que son fils de 10 ans est très habile sur son iPad. Dans quel univers sommes-nous ? Dans l'irréalité, dans la télé-réalité.

Il ne s'était pas donné la peine de se préparer à ce débat pourtant crucial, à supposer que cet homme ait assez d'envergure intellectuelle pour pouvoir se préparer à un débat.

Il n'a même pas été capable d'attaquer Hillary Clinton sur ses failles, soit la question des courriels, ses discours à Wall Street et la Fondation Clinton. Il l'a interpellée sur l'Iran alors que c'est son successeur, John Kerry, qui a négocié le traité sur le nucléaire iranien, mais il a passé sous silence le rôle prédominant de Mme Clinton dans la catastrophique offensive contre la Libye.

Son gros argument contre Hillary : elle n'a pas l'allure, pas le tempérament, pas l'énergie qu'il faut... Traduction : Hillary Clinton n'est pas un homme.

Ce fut un long, très long knock-out. Le gros ballon gonflé à la vanité, à la fatuité et à l'arrogance s'est ratatiné sous nos yeux pendant une bonne heure, après avoir pris un léger avantage dans les premières minutes du débat.

Ses sorties démagogiques sur la délocalisation des emplois, truffées d'exemples concrets, faisaient mouche, à comparer avec les exposés abstraits d'Hillary Clinton, qui ne se sera pas attiré beaucoup d'indécis en multipliant les références à des rapports d'experts. Mais après, vint la chute, lente, pénible, effroyable dans la mesure où cet homme peut encore gagner l'élection. Dans un contexte sportif, ce boxeur aurait été disqualifié et aurait pris le chemin des vestiaires la queue entre les jambes.

Jamais contraste ne fut plus saisissant entre cette brute inculte et la grande dame raffinée et superbement qualifiée qui lui faisait face.

L'été dernier, j'avais trouvé le discours d'acceptation de Hillary Clinton, à la fin de la convention démocrate, magnifique, bien construit et convaincant. Je l'ai trouvée encore meilleure lundi dernier, comme si ce tête-à-tête incongru faisait ressortir toutes ses qualités.

Jolie et rayonnante dans son costume rouge, en forme, posée et reposée - pouvait-on croire que cette femme de 69 ans se relevait d'une pneumonie et avait passé les huit derniers mois dans l'engrenage infernal d'une campagne éprouvante ?

Hillary l'autre soir : un mélange bien dosé de remarques assassines et de réflexions judicieuses, une rationalité à toute épreuve et une approche humaniste. Elle était juste assez agressive, juste assez moqueuse, juste assez cérébrale, juste assez séduisante, juste assez subtile, et Dieu sait combien il est difficile aux femmes d'avoir le bon ton, la bonne approche dans les débats politiques. Trop dures, elles seront jugées hystériques. Pas assez dures, trop faibles pour la fonction...

Hillary Clinton était dans le parfait juste milieu. Comme elle disait avec un sourire perfide à Trump qui lui reprochait sottement d'avoir interrompu sa campagne les jours précédant le débat : « Oui, je me suis préparée pour ce débat, comme je me suis préparée pour la présidence. »

Prête ? Oh que oui ! Hélas, les jeux ne sont pas faits.