Depuis quelque temps, la relation entre les grandes enseignes de la distribution alimentaire et leurs fournisseurs n'est pas à son meilleur. En effet, depuis le début de juillet, des lettres de demandes se sont succédé. Loblaw-Provigo a lancé le bal, suivi par Sobeys-IGA et c'est maintenant au tour de Metro depuis la semaine dernière.

Tous demandent un rabais ou un gel des prix à leurs fournisseurs. Il va sans dire que les tensions qui prévalent dans l'industrie ne datent pas d'hier. Mais cette année, elles se sont transformées en véritable guerre ouverte.

Ce conflit a commencé en juillet dernier, lorsque le numéro 1 au Canada des chaînes alimentaires, Loblaw-Provigo, a envoyé une lettre à ses fournisseurs leur demandant de diminuer leurs tarifs de 1,45 %. Cette lettre a fait l'objet d'une fuite et quelques journalistes en ont obtenu une copie.

Sobeys-IGA, deuxième en importance au Canada, a emboîté le pas quelques jours plus tard en affirmant que l'entreprise n'avait pas le choix de suivre son adversaire. Puis Metro, le troisième en importance, a également fait la demande d'un gel de tarifs à ses fournisseurs.

Et à nouveau, la lettre aux fournisseurs a fait l'objet d'une fuite médiatique. Il est donc difficile de croire que tout cela est une coïncidence.

Bien sûr, il faut se rappeler que les trois grandes chaînes de distribution sont des entreprises publiques, dont les actions s'échangent à la Bourse. Leur but premier est évidemment de faire des profits. Mais surtout, à l'ère où la responsabilité sociale des entreprises agroalimentaires est scrutée à la loupe, les perceptions doivent être gérées d'une main de maître.

À maintes reprises, les distributeurs ont dû expliquer la forte corrélation entre leur performance financière exemplaire et la hausse des prix alimentaires. Les distributeurs sont la cible de critiques et la présente campagne tente de transférer le blâme en amont de la chaîne, soit aux « méchants transformateurs ». Cela étant dit, il faut garder à l'esprit le fait que parmi ces transformateurs se trouvent plusieurs petites et moyennes entreprises qui tentent de se tisser une place sur le marché.

Bref, les grands de la distribution semblent vouloir jouer le rôle d'ange gardien auprès des consommateurs. C'est de la politique, pure et simple. Car les réelles menaces qui se pointent à l'horizon se nomment Walmart, Costco et les autres détaillants moins connus pour leurs ventes en alimentation tout comme les pharmacies et les centres de service rapide. C'est aussi une façon de valoriser les marques privées dont les marges sont plus élevées que les produits offerts par les fournisseurs. Ainsi, il faut s'attendre à avoir accès à un nombre record de produits de marque comme Choix du président et Sans nom.

DÉFLATION ALIMENTAIRE

Si les prix diminuent, ce qui est loin d'être certain, les grands gagnants seront les consommateurs. Ils pourront épargner après quelques années d'inflation alimentaire importante. Mais il est difficile de croire que ce sont ces demandes très publiques des distributeurs qui feront une différence. En effet, l'Amérique du Nord vit un phénomène de déflation alimentaire. C'est notamment le cas aux États-Unis, où, en juillet uniquement, les prix alimentaires ont diminué de 1,6 %. C'est un phénomène qui dépasse nos frontières.

En quelque sorte, aux États-Unis, le scénario de 2009 se répète. À l'époque, l'ensemble de l'industrie de la distribution alimentaire agonisait durant la crise financière. Pendant que l'industrie implosait, Walmart en profitait. Kroger, un rival de Walmart, avait décidé de réduire les prix pour maintenir sa part de marché. Et en distribution alimentaire, la part de marché est tout aussi importante que les profits.

Ainsi, le Canada pourrait être emporté par cette vague déflationniste durant les prochains mois, incitant alors les grands de la distribution à adopter une stratégie de prix plus énergique afin de rivaliser avec les Walmart et compagnie.

Il faut tout de même savoir que Kroger n'a jamais envoyé de lettre à ses fournisseurs leur demandant une faveur et encore moins une requête publique. Même si les profits de l'entreprise ont chuté, Kroger a pu maintenir sa part de marché. Aujourd'hui, elle est considérée comme l'une des entreprises les plus compétitives en alimentation aux États-Unis.

Les lettres récemment publiées n'ont donc rien à voir avec les prix. Il s'agit plutôt d'une façon de redorer l'image de l'industrie, une stratégie simpliste quoi. C'est un jeu dangereux de demander, de façon despotique, des changements de termes contractuels avec ses fournisseurs. La confiance interorganisationelle, une notion importante en distribution alimentaire, n'y est plus. Ces lettres représentent une démarche proactive de la distribution en attendant une possible déflation alimentaire. Or, le Canada n'est pas les États-Unis.

Loblaw-Provigo, Sobeys-IGA et Metro ont sûrement lu l'étude de cas de Kroger, en 2009, et tentent d'en tirer des leçons. À long terme, ceux qui écoperont seront malheureusement les transformateurs, les grands responsables de la création de valeur au sein de l'industrie. Et si la transformation faiblit, tout le monde y perdra.