Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les paramètres planétaires ont subi de grandes transformations.

L'attaque contre les tours du Word Trade Center par des kamikazes fondamentalistes a ouvert une brèche dans un monde qui tenait à ne pas trop changer.

Les opérations militaires en Afghanistan et en Irak ont eu pour effet de déstabiliser la région du Moyen-Orient et d'enclencher un processus de fragmentation politique et identitaire. Le monde s'est durci dans une lutte idéologique dictée par une politique étrangère américaine néoconservatrice. 

C'est dans ce climat turbulent que le fondamentalisme musulman a pu apparaître comme une solution pour des populations désillusionnées par des élites politiques corrompues et peu enclines à partager le pouvoir. Pendant des années, ces régimes autoritaires ont su manipuler la menace islamiste pour se maintenir indéfiniment au pouvoir et obtenir un appui indéfectible de l'Occident.

L'arrivée du Printemps arabe donnera l'espoir d'un État de droit et démocratique, mais la présence des islamistes dans le jeu politique provoquera de vives tensions. La Libye, le Yémen et la Syrie plongeront dans le chaos et la folie meurtrière. L'Égypte a retrouvé rapidement ses habitudes de régime militaire, tandis que la Tunisie navigue péniblement vers un état plus stable.

En Occident, le 11 septembre 2001 symbolise l'irruption de l'islam radical. Devant la figure du combattant djihadiste, l'Occident se sent déstabilisé.

Pendant longtemps, la menace d'un monde d'insécurité se trouve loin de nous, aux limites de la frontière. De nos jours, c'est la proximité du danger qui provoque un sentiment d'anxiété sociétale nourrie par une couverture médiatique en direct.

On ne comprend pas pourquoi les frappes aériennes occidentales et les armées syriennes et irakiennes ne peuvent pas stopper le groupe État islamique ou encore ce qui se passe dans le nord du Nigeria avec le groupe Boko Haram. On reste silencieux, incrédule.

On ne sait plus où se situer après l'attaque contre Charlie Hebdo et ces attentats sanglants en Tunisie, au Kenya et ailleurs en France. On envisage le tout sécuritaire et restrictif comme la seule façon de vaincre les barbares. On se réconforte dans le discours des droites populistes qui invitent à se distinguer des autres.

Une perspective de plus en plus sécuritaire expose la crainte de l'Occident devant la montée d'un terrorisme intérieur personnifié par le jeune musulman en échec d'intégration. Des experts en sécurité et en contre-terrorisme viennent nous faire leur analyse fixée sur la personne, celle du terrorisme déviant et de la victime dépossédée et meurtrie.

Les psychologues approfondissent le malaise de civilisation se focalisant sur les peurs et les angoisses des populations. Tout se joue sur l'émotion des différents publics. Peu de place est donnée à une réflexion nuancée sur l'avenir des sociétés musulmanes et sur la façon de composer avec le monde occidental. Or, nous avons besoin d'une vision humaniste du monde présent, et non d'une vision dichotomique entre l'islam et l'Occident.

Comme Canadien d'origine tunisienne, je me demande comment on doit s'orienter vis-à-vis de l'islam pris en otage par l'intégrisme ou par la dictature.

Plusieurs intellectuels du monde arabe ont jugé en effet essentiel de mener un travail de réflexion interne au sein de la communauté musulmane et de l'islam.

Je me rapproche de textes rédigés par des intellectuels musulmans décalés comme Abdelwahab Meddeb, poète et essayiste, Abdennour Bidar, philosophe (figure hypermédiatisée après les attentats de Charlie Hebdo) ou encore Hichem Djaït, historien tunisien, qui ont eu le mérite de proposer une autre lecture de l'islam.

Pour ces auteurs et d'autres, faire société consiste à s'engager pour un monde caractérisé par une pluralité de sources et de lectures de l'islam. C'est ce qui est difficile aujourd'hui, car nous subissons un cadrage limité à l'interprétation rigoriste du religieux dans les sociétés arabo-musulmanes et en Occident. Un véritable carcan se propage dans nos sociétés et provoque des reculs importants dans la façon de concevoir le rapprochement entre elles. C'est une véritable régression sur plusieurs plans : le rapport entre les sexes, l'avenir de la démocratie, l'incompatibilité de l'islam avec l'Occident.

Peut-on alors se diriger vers un islam tolérant et pluriel ? Peut-on reconnaître la capacité d'interpréter le religieux à la lumière de l'évolution sociale, culturelle ? Peut-on protéger les formes créatrices et innovantes de l'ijtihaad, c'est-à-dire de la renaissance ?

D'une certaine façon, le 11 septembre 2001 nous a privés de la faculté de juger, de critiquer et de poser des questions. Il ne s'agit pas de nier l'héritage islamique, mais de mieux le situer dans l'évolution historique de la société musulmane par rapport à celle des autres civilisations.