Chaque fois, qu'il s'agisse des lendemains de la tuerie de Paris, de Bruxelles ou cette fois d'Orlando, on entend une forme de question qui me rend perplexe tant elle cherche à déterminer une cause unique à ces actions.

Cette fois ne fait pas exception et on demande : s'agit-il d'un attentat terroriste à logique religieuse ? Ou s'agit-il d'un acte homophobe ? Ou s'agit-il de l'acte d'un être déséquilibré ? Pourquoi faudrait-il que ces explications soient mutuellement exclusives ?

Nos recherches montrent au contraire que ces trois éléments, souvent perçus, se renforcent et se potentialisent.

L'étude d'entretiens avec des jeunes radicaux et des terroristes ainsi que l'étude même incomplète de leur parcours identitaire laissent voir une série de facteurs dynamiques pouvant expliquer comment certains individus, à partir d'une forme d'errance identitaire, en viennent à épouser une cause et un mode d'action extrême et radical comme solution illusoire à leur quête identitaire.

Les traces de leurs parcours lors de l'adolescence, leur recherche d'une cause à épouser alors qu'ils sont jeunes adultes, les rares entretiens qu'ils ont donnés une fois qu'ils sont emprisonnés laissent croire que ces jeunes radicalisés, qui ont tué selon une logique terroriste, étaient des individus à la recherche d'un « idéal » allant définir totalement leur identité et effacer leur sentiment d'insuffisance sinon d'insignifiance.

UN SENS À LA VIE

Bien sûr, dans une certaine mesure, tous les jeunes adultes sont à la recherche d'une cause, d'un idéal donnant un sens à leur vie. Certains le trouvent dans la politique, d'autres dans des causes environnementales et communautaires, certains investissent passionnément un passe-temps ou une cause politique, mais tous ne versent pas dans la violence pour autant. Le cheminement terroriste, à la lumière des analyses de leurs trajectoires de vie et de certains entretiens, montre la conjonction d'une grave errance identitaire, de la quête fondamentale d'une identité d'emprunt qui contre-investira le vide narcissique et le sentiment de futilité ainsi que l'adhésion massive à une cause idéalisée donnant l'illusion d'une identité grandiose. La conjonction de la fragilité narcissique identitaire et de la promesse (souvent manipulatrice de la part des groupes radicaux) de l'atteinte de la grandiosité semble souvent être la clé d'une série de modifications dynamiques qui mèneront presque inéluctablement à la violence

Les jeunes gens qui souffrent de cette forme d'errance identitaire sont ceux qui seront le plus attirés vers des idéologies radicales qui fournissent des réponses grandioses toutes faites.

Quand quelqu'un est aux prises avec une grande difficulté narcissique identitaire, il est souvent à la recherche d'une identité qui lui sera donnée de l'extérieur.

Cette identité d'emprunt sera d'autant plus attirante qu'elle incarnera une promesse de valorisation sans limites. C'est pourquoi les sectes religieuses et les groupes terroristes actuels à logique religieuse sont si attirants. Ces personnes croient adhérer à une cause alors qu'en réalité elles endossent une identité. Elles croient se trouver, se définir alors qu'en réalité elles s'effacent. Elles ne succombent pas qu'à l'illusion de se trouver, mais à la promesse de grandiosité sous toutes ses formes. Cette illusion de grandiosité, dans le contexte de la radicalisation terroriste ou religieuse, signifie bien plus que de participer à une cause grandiose, bien plus qu'être admiré par le groupe une fois leur geste posé, il signifie inconsciemment l'immortalité, même lorsque la religion ne semble pas en cause.

Et l'aboutissement ultime de cette quête inconsciente est la destruction de tout ce qui peut semer le doute sur sa propre identité. Et dans ce contexte non seulement les « non-croyants » doivent être détruits, mais tous ceux qui représentent une menace à leurs croyances et à leur identité, comme les homosexuels qui sont pratiquement toujours ciblés par les idéologies radicales.

Le Québec a décidé d'investir dans des centres de prévention et nous ne pouvons qu'applaudir. À condition que ces centres ne considèrent pas que la dimension policière ou que des actions de « sensibilisation » à la différence et à la tolérance. S'il est bien de sensibiliser les jeunes gens, il faut absolument faire un travail sérieux de dépistage des jeunes à risque d'être attirés par le chant des sirènes de la radicalisation. Il faut aussi faire de la recherche sérieuse sur ces déterminants prédisposant ceux-ci à l'adhésion à des idéologies radicales.

* L'auteur est également chercheur dans le domaine de la violence, du terrorisme et de la radicalisation