Têtu, ne démordant jamais de ces idées fixes, il a neuf vies. Nommer les maladies graves dont il souffre serait plus long que de faire la liste des organes vitaux intouchés.

Récemment, il a fait une chute : avec une fracture au dos, il avait peine à se lever seul de son lit. Après un retour en résidence (avec aide pour le bain et l'habillement), il est maintenant en mesure de marcher sans déambulateur et il sera sous peu transféré dans un studio pour personnes semi-autonomes, tout ça à l'aube de ses 90 ans !

Mon père vit en résidence depuis bientôt trois ans. En préparant son déménagement, j'ai réalisé à quel point il aurait dû s'y rendre avant. Ce célibataire, qui avait une vie active, commençait à souffrir de démence. Je lui parlais depuis longtemps de vivre en résidence, mais il avait peur. Peur d'être maltraité. Peur de s'ennuyer. Peur d'être isolé. Chose certaine, après sa sortie de l'hôpital, il n'aurait jamais pu vivre seul. Cet homme instruit m'étonne toutefois de s'être si bien adapté à sa nouvelle vie. Serai-je comme lui un jour ? Aurai-je envie de côtoyer des gens de mon âge uniquement ? De vivre loin des cris d'enfants ?

En théorie, je pense que non. Je pense, comme plusieurs personnes de ma génération (années 60), que j'aimerais bien trouver une formule plus cool, plus participative, plus branchée sur la vraie vie quoi !

J'entends parler de villages français où les gens souffrant de la maladie d'Alzheimer se promènent librement. J'écoute des reportages sur des expériences de copains-copines qui mettent leurs ressources financières en commun pour vivre sous un même toit. Ces exemples m'allument. Me parlent. Me ressemblent. Pour l'instant, même si mon père est heureux, cette formule tout-inclus, non merci ! Dans la vie, comme en voyage, je choisis mes itinéraires.

Or, la question qui se pose est la suivante : aurai-je toute ma tête ou serai-je en santé pour continuer à être indépendante ? Je n'ai pas de réponse, car je ne pense pas que le débat sur la vie en résidence en soit un tout noir ou tout blanc. Je pense qu'il est essentiel de pouvoir offrir un choix à la mesure de la réalité financière de nos aînés. Et je pense que nous devons repenser les formules avec créativité. Ne pas avoir peur de questionner les façons de faire et se laisser inspirer par des idées venues d'ailleurs.

FAIRE PREUVE DE CRÉATIVITÉ

Permettez-moi de vous raconter une anecdote dans un tout autre ordre d'idées. Je vous parle du débat sur les rues piétonnières. Pour ou contre ? Il faut toujours trancher ! Mais, pourquoi pas moitié-moitié ? J'étais à Rome il y a quelque temps. Notre petite rue était piétonnière jusqu'à 14 h, le temps que le marché quotidien s'y installe à l'aube. En après-midi et en soirée, les voitures reprenaient leurs droits acquis. Intéressant ! Et si les résidences ouvraient leur cuisine quelques fois à leurs locataires pour leur permettre de mijoter des petits plats ? Pourquoi n'installerait-on pas des garderies sur les lieux de résidences ? Ou des bibliothèques et des jardins pour donner aux aînés une chance de se sentir utiles ?

Dans une société individualiste, où la plupart d'entre nous ont fait peu ou pas d'enfants, dites-moi qui va s'occuper des aînés s'ils ne vivent pas dans un endroit avec services ?

En résidence, mon père mange sainement. Il a accès à des activités variées. Oui, on y joue au bingo, mais on y fait aussi du tai-chi, de la musique et des arts plastiques. Et, surtout, il y a du soutien pour moi qui suis enfant unique et qui, avec ma mère qui vit dans une autre résidence, mes deux enfants, mon conjoint, ma carrière, suis tiraillée par un manque de temps. Et je ne suis pas la seule. Nous sommes nombreux à vivre en sandwich pour aider ceux qui nous ont donné naissance et ceux à qui nous avons donné naissance.

La fatigue du proche aidant - rancune, tristesse, colère, culpabilité - est bel et bien réelle. Quelles formules trouverons-nous pour l'avenir ? Espérons que nos cellules grises aient assez de couleurs pour être créatives et pour mettre en place de beaux projets pour nos vieux jours !