Le dépôt des accusations criminelles à l'égard de personnes qui ont témoigné devant la commission Charbonneau est l'occasion de mettre en lumière les différences entre une commission d'enquête et un procès criminel.

Comme le rappelait la Cour suprême du Canada dans l'affaire Phillips, les commissions « fournissent un moyen d'informer les Canadiens sur le contexte d'un problème préoccupant pour la collectivité et de prendre part aux recommandations conçues pour y apporter une solution ». La Cour ajoute que les enquêtes des commissions doivent être menées de manière à ne pas compromettre le droit à un procès équitable, car l'objectif de ces commissions n'est pas de recueillir de la preuve pour alimenter des poursuites criminelles.

L'une des principales objections soulevées à l'encontre de la création de la commission Charbonneau était la nécessité de protéger les enquêtes criminelles. Dans le décret constituant la Commission, le gouvernement Charest avait pris le soin de préciser que celle-ci devait veiller à ne pas « compromettre les enquêtes actuellement menées en application de la Loi concernant la lutte contre la corruption et d'éventuelles poursuites judiciaires ».

Tout au long de ses travaux, la commission Charbonneau a tenu à rappeler que son objectif n'était pas de trouver des « coupables » ; la Commission enquêtait sur des « stratagèmes » et non sur des « personnes », selon son porte-parole. Bien entendu, derrière les stratagèmes de collusion et de corruption, il y avait des individus qui ont été forcés de témoigner à propos de ceux-ci devant la Commission.

DES ENQUÊTES QUI N'ONT PAS ÉTÉ COMPROMISES

Le dépôt des accusations criminelles contre Nathalie Normandeau, son ancien chef de cabinet et des responsables de la firme Roche nous permet maintenant de conclure que non seulement les travaux de la commission Charbonneau n'ont pas compromis les enquêtes de l'UPAC, mais que sans cette commission, rien de ce que nous savons des stratagèmes liés au financement des partis politiques n'aurait été révélé au grand jour.

Que saurions-nous en effet sur les stratagèmes de collusion et de corruption à Montréal, Laval et Boisbriand, si notre seule source d'information consistait dans la preuve qui n'a même pas encore été divulguée dans les poursuites criminelles en cours ? Absolument rien.

Le dépôt des accusations contre l'ex-vice-première ministre et ses coaccusés nous permet également de comprendre l'absence de blâmes dans le rapport sur la conduite de ces individus. Pour respecter les enseignements de la jurisprudence sur les commissions d'enquête, la commission Charbonneau devait éviter de tirer des conclusions laissant croire que des crimes avaient été commis par ces personnes.

Sans la commission Charbonneau, l'adoption de la Loi sur l'intégrité en matière de contrats publics, de la Loi visant la récupération des sommes payées injustement à la suite de fraudes, les modifications successives à la Loi électorale réduisant le montant des contributions politiques des électeurs (de 3000 à 1000 à 100 $), et le dépôt du projet de loi 87 sur la protection des lanceurs d'alerte n'auraient pas été possibles.

Sans compter les autres recommandations, dont celle relative à la création de l'Autorité des marchés publics, qui, une fois mises en oeuvre, permettront de mettre un terme, ou du moins un frein, à la corruption et la collusion dans l'octroi et gestion des contrats publics. La commission Charbonneau aura ainsi servi à démontrer la capacité d'autocorrection de l'appareil d'État.

Et si l'échange de courriels entre Marc-Yvan Côté et des gestionnaires de Premier Tech au sujet de l'aide de Sam Hamad pour l'obtention d'une subvention par le gouvernement, et de l'importance de contribuer au financement du PLQ a eu autant d'impact, c'est parce qu'il ressemblait étrangement aux stratagèmes élucidés par la commission Charbonneau dans son rapport.